Paris : Conciergerie, riche histoire de la plus terrible prison révolutionnaire depuis ses origines médiévales - Ier

 


La Conciergerie, prison de triste réputation durant la période révolutionnaire, se trouve au cœur de l’ancien Palais de la Cité. Cet ensemble de bâtiments publics, dévolu à l’administration de la Justice jusqu’en 2018, doit son allure de forteresse médiévale, à une restauration du XIXème siècle. La façade nord le long des quais est alors remaniée dans un style néo-gothique par l’architecte Louis-Joseph Duc (1802-1879). Résidence des souverains capétiens jusqu’à Charles V, le Palais de la Cité devient Cour supérieure de Justice du royaume à partir de François Ier (1494-1547). Sous l'Ancien Régime, une grande partie est réservée au Parlement. Le concierge, gouverneur de la maison du Roi, administre une fraction importante du palais et rend justice sur les flagrants délits. L’autorité de ce personnage éminent s’étend sur un ensemble d’espaces appelés Conciergerie. L’actuelle Conciergerie, enclave patrimoniale et mémorielle, comprend notamment les remarquables salles du XIVème siècle, vestiges du Palais royal originel. La salle des Gens d’armes, belles voûtes gothiques, piliers imposants, se trouve au niveau inférieur des espaces édifiés pour Philippe le Bel. Elle s’étend sur une superficie 1800m2. Il s’agit du plus grand vestige de salle civile médiévale en Europe. Les cuisines s’illustrent par la monumentalité des quatre cheminées. La seconde partie du parcours muséal s’ancre dans l’évocation de la période révolutionnaire avec notamment le cachot de la reine Marie-Antoinette devenu chapelle expiatoire en 1816 et l’ancienne chapelle où les vingt-et-un chefs girondins attendirent la mort en festoyant le 30 octobre 1793. La Conciergerie, attribuée à titre de dotation par un arrêté du 2 avril 2008, est gérée par le Centre des monuments nationaux. 











Peu d’informations antérieures au XIème siècle subsistent au sujet de la citadelle, ancêtre du Palais de la Cité. La présence d’un oppidum sur la partie occidentale de l’île de la Cité a été partiellement remise en question par les recherches archéologiques. Camp fortifié gallo-romain, séjour parisien des premiers souverains mérovingiens, l’idée de continuité embrasse la complexité de l’Histoire. Lors des invasions normandes, raids vikings au IXème siècle, la forteresse est une résidence royale ponctuelle. En 987, le souverain Hugues Capet en fait le siège du pouvoir monarchique. 

Philippe Auguste (1165-1223) entreprend d’importants travaux de restauration et de construction. Le Palais de la Cité demeure résidence royale de saint Louis à Charles V. Si les structures architecturales médiévales ont été préservées, les plus les plus anciens vestiges conservés remontent à saint Louis (1214-1270), la Saint Chapelle et la Tour Bonbec. 

A la suite d’aménagements d’envergure, la salle des Gardes, au rez-de-chaussée de l’emplacement de la salle des Pas perdus, la salle des Gens d’armes placée sous la Grand Salle, deux tours, la tour César et la tour d’Argent, Philippe le Bel (1268-1314) y réunit les principales administrations du royaume. Sous Jean le Bon (1319-1364) sont créée les cuisines dites de saint Louis et de la tour de l’Horloge où sera placée la toute première horloge publique vers 1370. Le concierge du Palais, Philippe de Savoisy fait ouvrir les boutiques à cette époque, initiant une vocation commerciale. 

En pleine Guerre de Cent ans (1337-1453) contre les Anglais et la dynastie Plantagenêt, Jean le Bon est fait prisonnier à Poitiers. Les défaites successives discréditent le pouvoir des Valois. Le Palais de la Cité est le témoin de la crise de la société féodale. A la suite de la convocation des Etats Généraux en 1357, le pouvoir royal exercé par le dauphin, le futur Charles V (1338-1380), et les délégués du Tiers Etat s’affrontent au sujet de la réforme de la monarchie. Lors de l’émeute du 22 février 1358, menée par Etienne Marcel (1302/10-1358) prévôt des marchands de Paris, le Palais de la Cité est envahi. Dès 1360, le dauphin échaudé par ces événements, s’installe à l’hôtel Saint-Pol. Sacré le 19 mai 1364, il restaure l'autorité royale fondée sur l'État de droit et poursuit la politique d’une monnaie forte, instaurée par les conseillers de Jean le Bon.

Alors que la fonction judiciaire du Palais de la Cité s’affirme, la Conciergerie devient prison d’état dès 1370. Le palais, résidence royale honoraire, perd définitivement son statut à partir de 1417. Siège de l’administration judiciaire et financière du royaume, il accueille également le Parlement qui occupe la Grand-Chambre.  











Au XVIIème siècle, à la suite de son père Henri IV (1553-1610), Louis XIII (1601-1643), poursuit les travaux d’urbanisation de l’île de la Cité. En 1611, la création des premiers quais de pierre au nord encave la salle des Gens d’armes de la Conciergerie de plusieurs mètres, la privant définitivement de lumière naturelle. Le 6 mars 1618, un incendie dévaste la Grand-Salle. La reconstruction permet le développement des activités annexes. Dans les années 1670, outre les diverses administrations, le Palais de la Cité est un lieu de promenade où fleurissent les commerces élégants, les boutiques de luxe, parfumeurs, joailliers, luthiers, librairies, relieurs, fourreurs, horlogers. Cette activité intense perdure jusqu’en 1839. Les incendies et les grandes transformations se succèdent. Le 26 octobre 1737, la Cour des Comptes est dévastée. Elle sera reconstruite par Jacques V Gabriel. Le 11 janvier 1776 la galerie Mercière est ravagée par le feu, puis entièrement détruite lors de la reconstruction ainsi que la galerie Dauphine. A partir 1781, la Conciergerie se réorganise et devient une annexe de la prison du Châtelet. Les espaces carcéraux s’étendent au premier étage du palais au nord le long de la Seine, dans les tours et dans les cuisines de l’ancien palais royal.

En 1789, le Palais de la Cité, centre administratif et judiciaire du pays accueille en son sein deux institutions la Chambre des Comptes et le Parlement. A la Révolution, il est attribué à la Ville de Paris. Les lieux changent d’affectation. La fonction judiciaire s’y maintient.

Au début de la Convention (21 septembre 1792 au 26 octobre 1795), le Tribunal révolutionnaire installée dans la Grand-Chambre est supprimé. Puis il est rétabli par la loi du 10 mars 1793 sous la dénomination de Tribunal criminel extraordinaire, juridiction criminelle d'exception établie en France sur proposition des députés Georges Danton, Robert Lindet et René Levasseur. Les bâtiments de la Conciergerie, salle des gardes, cuisines, anciennes cellules, chapelle et préaux sont transformés à afin d’incarcérer les prisonniers en attente de comparution. La salle des Gardes, ancien réfectoire du Palais, réservé à la prison des hommes est compartimentée en cachots sommaires. 

Au plus fort de la Terreur (5 septembre 1793 - 28 juillet 1794), cette prison surnommée « l’antichambre de la guillotine » enferme jusqu’à six-cents détenus en même temps, dans des conditions épouvantables de promiscuité et d’insalubrité. Deux-mille-six-cents personnes passent par les geôles de la Conciergerie avant d’être guillotinées place de la Révolution, actuelle place de la Concorde. Parmi lesquelles, la reine Marie-Antoinette exécutée le 16 octobre 1793, Madame Elisabeth sœur du roi, Charlotte Corday assassin de Louis Marat, Madame du Barry dernière favorite de Louis XV, Philippe d’Orléans qui avait voté la mort du roi, Antoine Lavoisier chimiste, philosophe, économiste, Olympe de Gouges, écrivaine et femme politique, militante féministe, abolitionniste, Georges Danton et Maximilien Robespierre.  

En 1795, le Tribunal révolutionnaire est supprimé. En 1799, le Palais de la Cité redevient Palais de Justice et accueille la Cour de cassation, la Cour d’appel ainsi que le tribunal civil. Louis XVIII (1755-1824) fait aménager le cachot de Marie-Antoinette en chapelle expiatoire, en 1816, sous la direction de l’architecte Antoine-François Peyre le Jeune. Elle sera restaurée en 1869. L’entrée de la Conciergerie quitte la cour de Mai pour se déplacer vers le quai de l’Horloge en 1817 alors que lieux de justice et d’incarcération sont séparés. Transformé, agrandi, modernisé sous Louis-Philippe (1773-1850) puis Napoléon III (1808-1873), le Palais de la Cité affirme sa vocation de Palais de Justice tandis que la Sainte Chapelle et la Conciergerie sont autonomisés. 











Au milieu du XIXème siècle, d’importants travaux menés par les architectes Joseph-Louis Duc (1802-1879) et Honoré Daumet (1826-1911) transforment l’ensemble entre constructions d’envergure et restaurations drastiques. L’esthétique des bâtiments change radicalement lorsque Joseph-Louis Duc et Etienne-Théodore Dommey (1801-1872), inspirés par les préceptes d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) choisissent de développer une façade néo-gothique sur le quai nord. 

La Conciergerie conserve une partie de ses fonctions avec la création en 1865 du Dépôt lieu de détention provisoire. De 1868 à 1880, la salle des Gens d’armes sous la salle des Pas Perdus est restaurée par Daumet qui ajoute à son tour des éléments d’inspiration médiévale au bâti d’origine. Le 24 mai 1871, les insurgés de la Commune incendient la Conciergerie. 

Les destructions variées et les ajouts du XVème et XVIIIème, puis les restaurations drastiques du XIXème siècle ont modelé l’ensemble actuel. La réforme progressive des établissements carcéraux, la création de nouvelles prisons, la Roquette dans les années 1820, la Force et Bicêtre, puis au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, la construction la Santé rendent la Conciergerie obsolète. Elle ferme définitivement en 1934.

A l’occasion du Bicentenaire de la Révolution française en 1989, les espaces sont remaniés afin de les ouvrir au public. Au rez-de-chaussée, des cellules en bois reconstituent les bureaux du greffier et du concierge. Dans un ancien cachot collectif, la salle dite des condamnés ou des noms rend hommage au deux-mille-six-cents guillotinés de la Conciergerie. A l’étage, un ancien logement de fonction du Palais de Justice a été repensé en salles d’exposition. 

Conciergerie 
2 boulevard du Palais - Paris 1
Horaires : Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h
Tél : 01 53 40 60 80



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Guide du promeneur 1er arrondissement - Philippe Godoÿ - Parigramme
Connaissance du vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit 

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