Cinéma : Des mots qui restent, un documentaire de Nurith Aviv

 

Nurith Aviv a fait de la question de la langue son champs de recherche personnel et cinématographique de prédilection. A travers « Des mots qui restent », la réalisatrice va à la rencontre des idiomes de la diaspora juive, hébreu mêlé d’espagnol, de persanes ou d’arabe. En voie de disparition, ces dialectes qui s’inscrivent dans une composante hébraïque et procèdent d’un alphabet très peu utilisé de nos jours ne comptent plus qu’une poignée de locuteurs. Parlés depuis des siècles, portés par le souffle de l’Histoire, ils sont désormais menacés par l’oubli du fait de l’exil de ces familles originaires de Salonique, du Maroc, d’Algérie, de Libye, d’Iran vers d’autres pays. Nurith Aviv s’entretient avec six témoins d’un monde qui s’efface lentement au gré des trajectoires personnelles, victime du déracinement. Ces personnes évoquent les mots de l’enfance, ceux de la mère, qui infusent leur imaginaire. Pourtant, souvent, ces descendants ne parlent pas eux-mêmes ces langues. Malgré l’attachement, leur capacité d’évocation car les quelques mots remémorés hors sol apparaissent comme autant de bribes d’enfance, les dialectes s’éteignent faute d’être parlés, maîtrisés. 






Nurith Aviv, première femme chef opérateur reconnu par le CNC en 1975, a été longtemps directrice de la photographie pour les plus grands cinéastes Agnès Varda, Amos Gitaï, René Allio ou Jacques Doillon. Réalisé en 1989 « Kafr Qara Israël », son premier film personnel évoquait les Israélo-palestiniens de la ville. Depuis autrice d’une quinzaine de travaux documentaires, elle a choisi la thématique linguistique comme fil rouge de son oeuvre. Elle investigue les différentes facettes du langage en particulier l’hébreu, langue écrite et orale de tradition séculaire. La réalisatrice a entamé ce cycle par une trilogie débutée en 2004 avec « Mifasa Lesafa : d’une langue à l’autre » sur le bilinguisme, oui en 2008 « Langue sacrée, langue parlée » au sujet de l’évolution de l’hébreu autrefois langue sacrée désormais d’usage quotidien et enfin un dernier volet, en 2011 « Traduire ». 

Nurith Aviv prolonge la réflexion à travers un nouveau documentaire. Elle rencontre six témoins, descendants de la diaspora juives en exil, héritiers de dialectes notamment judéo-marocains, ou bien du ladino associant espagnol et hébreu. Le documentaire interroge la relation entretenue avec la langue parlée par la mère, lexique intime. Les accents flottants dont les intervenants chérissent la musique disparue perpétuent le souvenir fragile d’un idiome hébraïque pas tout à fait éteint. 



Le dispositif simple, procédé sobre et sensible, offre toute sa place à l’humain associant l’universel et le personnel. Il est émouvant de voir la gourmandise nostalgique avec laquelle les personnes interrogées prononcent ces mots de leur enfance, reliques inestimables auxquelles les vieilles photographies viennent donner un visage. L’idée caressée de la transmission, l’attachement aux sonorités de l’enfance, les souvenirs de l’apprentissage ne font pas oublier la mélancolie de la disparition, perte d’un patrimoine, d’une culture commune.

Recherche sur la langue et ce que cela signifie de perpétuer les dialectes, la réalisatrice donne à voir la façon dont ils s’incarnent dans la mémoire sans pour autant trouver la voie de la survivance.

Des mots qui restent, de Nurith Aviv
Sortie le 9 mars 2022



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.