Avant de devenir acteur puis cinéaste, le réalisateur Philip Barantini a travaillé durant douze années dans la restauration, au sein de pubs gastronomiques et de restaurants à la mode. Son point de vue puise à la source d’une expérience personnelle de première main. A l’écran, il rend compte d’une réalité vécue. Il connaît l’envers du décor et choisit de poser sa caméra en coulisses au plus près de la brigade. La captation d’une soirée au cœur de ce microcosme, reflet exacerbé de la société anglaise, donne matière à un décryptage sociologique troublant. Le film embrasse un certain nombre de grandes thématiques actuelles : harcèlement au travail, sexisme, racisme, homophobie, rapports de pouvoir, dépression, burnout, addiction.
A l’unité de lieu, le restaurant, ce huis clos tendu associé l’unité de temps dans une dramaturgie rendu plus vivante encore par la prouesse technique d’un film tourné en plan-séquence d’une heure trente, sans aucun montage ni raccord. Afin de donner forme à cette idée de mise en scène radicale Philip Barantini a mise en place de longues semaines de répétition avant de lancer un tournage ramassé, quatre prises complètes captées sur deux nuits. La performance technique et artistique, s’inscrit dans la continuité inspirée par le théâtre. Le long-métrage d’un seul tenant repose sur l’agilité de la caméra, laquelle traduit la frénésie, l’absence de répit. Le réalisateur suit le chef qui navigue entre la salle, les clients, les serveurs, le bar débordé, les cuisines survoltées et la brigade, les commis, les sous-chefs.
Le dispositif narratif emprunte aux codes du thriller par le développement d’un climat anxiogène. Philip Barantini traduit en images la montée de l’angoisse, le suspens électrique. Il capture la dérive d’un restaurateur, un entrepreneur, un créatif, portrait d’un homme hanté au bord de l’abîme. Le réalisateur n’épargne pas son personnage confronté à l’ébullition d’une nuit interminable et ses propres défaillances. Situation sans retour, le chef perd pied entre sa séparation, sa culpabilité d’être absent auprès de son enfant, ses problèmes de drogue, son surendettement. L’enchaînement des imprévus révèle la démotivation d’une partie des équipes, l’inexpérience de certains, incompétence d’autres. La performance de Stephen Graham en chef brillant mais largué est remarquable soutenu par ses partenaires Vinette Robinson et Ray Panthaki impeccables et un James Flemyng, excellent en rival sournois.
« The Chef » donne à voir la réalité d’un milieu professionnel, les contraintes insupportables, l’épuisement physique et moral jusqu’au point de rupture et à la prise de conscience tragique.
The Chef, de Philip BarantiniAvec Stephen Graham, Vinette Robinson, Jason Flemyng, Ray Panthaki
Sortie le 19 janvier 2022
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