Lundi Librairie : Je suis un écrivain japonais - Dany Laferrière




















A Montréal, un écrivain québécois d’origine haïtienne cherche l’inspiration dans la lecture du poète japonais Bashô. Il laisse son esprit vagabonder lors de longs bains, instants suspendus. Il fréquente un groupe de jeunes femmes japonaises, entourage énamouré de la chanteuse underground Midori. Nonchalant, il flâne dans le quartier du Carré Saint-Louis nourrit son imaginaire des ambiances, des sensations. Au café, il rêve de son nouveau projet : écrire un roman ou bien réaliser un film à la manière des maîtres japonais. Lors d’un entretien avec un journaliste nippon, il évoque par boutade un roman à venir intitulé « Je suis un écrivain japonais ». Le livre n’existe pas, pas une ligne n’a été écrite. Pourtant, à la suite de la publication dans une revue tokyoïte il fait déjà grand bruit. Le retentissement de cette annonce surprend tout le monde. L’écrivain caribéen qui se revendique écrivain japonais devient célèbre au Pays du soleil levant par hasard. L’éditeur presse son poulain de livrer un premier jet. Le consulat du Japon envoie deux fonctionnaires circonvenir cette étrange vedette. Les touristes se pressent devant chez lui pour tenter de l’apercevoir.

Objet littéraire fantaisiste et poétique, « Je suis un écrivain japonais » propose un délicieux vagabondage dans les pas du double de fiction de Dany Laferrière. L’auteur devient son propre sujet et se réinvente à l’aune de l’autofiction. L’oisiveté trompeuse du narrateur laisse le hasard distribuer les cartes et favoriser les rencontres tandis que se succèdent des personnages contrastés, fascinants, éthérés, cocasses. Livre vivant, vibrant de toutes les ambiances peintes, retraduites en une mélopée puissante, ce roman humaniste célèbre l’ouverture à l’altérité. La verve savoureuse, l’humour colorent le texte d’une teinte singulière, irrésistible.

Habité par l’esprit du poète Bachô, figure tutélaire, dans la traduction de Nicolas Bouvier, deux voyageurs au long cours, le narrateur pérégrine immobile dans sa baignoire. Dany Laferrière, ironie fine, douce désillusion et grande tendresse, porte un regard lucide sur le monde. Le récit intimiste tout d’atmosphère, brouille les pistes, la frontière entre réalité et fiction. Le véritable propos pourrait bien être la construction d’une oeuvre narrative, fruit des instants captés, de la poésie fugitive. L’auteur revient longuement sur l’importance du titre et les subtilités de la création.

Dany Laferrière poursuit sa réflexion sur l’identité de l’artiste, et plus particulièrement de l’écrivain très souvent défini voire même réduit à sa seule origine. Il revendique l’universalité de la littérature. L’auteur est un caméléon, il explore la matière de la création, glaise qu’il façonne selon sa propre formulation esthétique. Il puise aux sources de l’imaginaire. Le lecteur se projette ailleurs, différent à chaque fois le temps d’un livre. 

En filigrane, Dany Laferrière aborde des sujets sociétaux, identité, nationalisme, racisme, violences policières. « Je suis un écrivain japonais » collecte ses réflexions au fil de la pensée, recueil de digressions, hasards réunis sur le fil d’une fine trame, prétexte poétique ou politique, coïncidences heureuses. Il donne à voir son monde sensible, retranscrit son goût du bonheur dans la sensorialité des images qu’il convoque, exercice sensuel. 

Je suis un écrivain japonais - Dany Laferrière - Editions Grasset - Poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.