Expo Ailleurs : Susanne Hay : À la piscine - La Piscine, musée d'Art et d'Industrie André Diligent de Roubaix - Jusqu'au 6 février 2022



Suzanne Hay (1962-2004), artiste allemande installée à Paris, a laissé derrière elle un corpus relativement restreint, près de deux-cent-trente toiles et deux-cents dessins, du fait de son décès précoce. A l’occasion des Vingt ans de la Piscine de Roubaix, le commissaire d’exposition Harald Theil et les équipes de l’institution ont réuni une vingtaine d’œuvres exposées pour la première fois dans un musée. L’ensemble a été puisé dans la succession de l’artiste, emprunté à des collections privées en majorité parisiennes, et complété par trois tableaux en provenance de Berlin et Stuttgart. Les toiles, peintures à l’huile de grand format, appartiennent à des séries aquatiques, exécutées in sitù, piscine publique, salle de bain, douche. Associées, elles soulignent la relation particulière de Suzanne Hay à l’eau. Elles évoquent une certaine sensualité, des rites de purification, de régénération mais aussi un sentiment d’isolement bénéfique ou délétère selon les propositions. 











Peintre figuratif, Suzanne Hay travaille exclusivement d’après modèles, en grande majorité masculins. Elle interroge sans relâche la vérité du corps à travers lequel s’incarnent les tourments de l’esprit. Très proche de son frère autiste, elle révèle dans son travail une sensibilité particulière au handicap, aux maladies mentales. Sous son pinceau, le corps où advient la souffrance, le plaisir, devient le reflet de la condition humaine. Suzanne Hay a poussé cette recherche très loin en réalisant une série à la morgue, rappel aigu de la finitude et du destin commun. En 2004, Suzanne Hay se noie dans un lac au Portugal en tentant de sauver deux enfants. Elle a quarante-deux ans. Cette fin tragique qui pourrait relever de l’élément biographique, trouve un écho troublant à son oeuvre au cœur de laquelle l’eau joue un rôle central, omniprésence vertigineuse à posteriori.

Tout au long de sa carrière, l’artiste a entretenu un dialogue puissant avec l’histoire de l’art. Elle s’inscrit dans la tradition picturale des maîtres européens, insiste sur l’importance de la mise en scène. La lumière, les compositions évoquent Le Caravage, Zurbarán, Ribera, le trait, les couleurs, l’expressionnisme allemand, Lucian Freud, Leonardo Cremonini son professeur aux Beaux-Arts de Paris, Hans Baldung, Francis Bacon.

En explorant les lieux publics, démarche sérielle aboutie, Suzanne Hay questionne, le rapport de l’homme à son environnement, et éclaire sous un jour alternatif la réalité d’un certain quotidien urbain. Elle pose un regard teinté d’onirisme sur la piscine, le métro, capte le surgissement impromptu de la beauté dans une salle de bain peu avenante. La série réalisée en 1996 dans une piscine publique surprend par ses couleurs vives qui contrastent avec les attitudes des baigneurs. L’éclat de la palette chromatique semble souligner le sentiment de solitude, d’angoisse, de détresse qu’expriment par leur attitude les baigneurs. 









L’artiste n’épargne pas ses modèles, ni par les longues et difficiles séances de pose, ni dans le rendu final peu flatteur. De la même façon, dans ses propres autoportraits, elle ne se représente jamais à son avantage. Elle saisit les flottements de l’âme. Les angoisses refluent à la surface de la matière. La nudité convoque une idée de l’innocence retrouvée. Le corps est imparfait mais vibrant, vivant.

Même dans ces lieux ouverts, l’idée d’enfermement qu’elle reprend moins métaphoriquement dans des séries autour de la cave, des tunnels désaffectés, diffuse un sentiment d’étrangeté, de malaise. Les motifs récurrents assument leur ambiguïté. La douleur et le plaisir se ressemblent dans une forme d’ironie radicale, sans morbidité malgré des sujets parfois très âpres. A la frontière des genres, le burlesque flirte avec le drame, la réalité avec la fiction. La vie et la mort se rejoignent dans un agencement savant, maîtrise technique, force suggestive. Trouble.

Suzanne Hay : À la piscine
Jusqu’au 6 février 2022

La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix
23 rue de l’Espérance - 59100 Roubaix
Tél : 03 20 69 23 60
Horaires : du mardi au jeudi de 11h à 18h, le vendredi de 11h à 20h, le samedi et le dimanche de 13h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.