Cinéma : Copyright Van Gogh, un documentaire de Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu


La petite ville de Dafen dans la banlieue de Shenzen en Chine abrite des centaines d’ateliers de copistes qui reproduisent les tableaux des grands maîtres occidentaux. Jusqu’en 1989, la localité était un village peuplé d’agriculteurs et d’éleveurs. Peu à peu, les paysans ont quitté la rude vie des champs pour embrasser une nouvelle vocation plus lucrative et inattendue. Ils sont devenus peintres-ouvriers, artisans travaillant à la chaîne à la reproduction des chefs-d’œuvre de la culture européenne. Les toiles achetées en gros par des négociants spécialisés seront par la suite revendues dans les boutiques souvenirs du monde entier. Les ateliers fleurissent à travers la ville, sweatshops d’un genre alternatif, débordant jusque dans les rues où les dernières commandes sèchent sur des cordes. Xiaoyong Zhao et sa famille se sont fait une spécialité des œuvres de Vincent Van Gogh. Les Tournesols, La Nuit étoilée, La Chambre jaune, les autoportraits, Zhao estime que l’atelier du clan a produit jusqu’à présent environ cent-mille répliques de Van Gogh. A force de copier les tableaux du Néerlandais, le Chinois s’est pris de passion pour ce peintre devenant ainsi LE spécialiste reconnu à Dafen. Il compulse toutes les biographies publiées, nourrit son imaginaire des films et des documentaires au sujet de l’artiste. Il économise afin d’entreprendre un voyage en Europe, partir sur les traces de Van Gogh, à Auvers-sur-Oise, à Arles puis à Amsterdam. Il rêve de découvrir ses tableaux en vrai pour la première fois, leur matière, la touche exactes, le geste, les couleurs exactes et ainsi améliorer sa technique. 






Les réalisateurs Haibo Yu et Kiki Tianqi Yu, le père et la fille dresse le portrait pittoresque d’un village de campagne devenu petite ville industrieuse par la reconversion des agriculteurs en peintres copistes. Ces ouvriers au service du marché mondialisé du tourisme marquent la cité de leur empreinte. Leur activité principale qui prend la rue d’assaut comme les ateliers les plus confinés confère atmosphère particulière. Dafen est aujourd’hui considérée comme la capitale mondiale de la copie de tableaux. En 2015 le chiffre d’affaire généré par la vente de ces reproductions était estimé à 65 millions de dollars. 

Haibo Yu et Kiki Tianqi Yu prennent le parti d’incarner leur propos au sujet de l’industrie de la reproduction en lui donnant le visage de la famille de Xiaoyong Zhao. Sur le ton du conte, de la belle histoire qui flirte avec le mélo mais n’en demeure pas moins émouvant, le documentaire mêle l’universel et l’intime pour interroger les grandes problématiques de la mondialisation, du déséquilibre des marchés. Sans faire l’impasse sur les cadences infernales, le travail à flux tendu et la modestie des revenus de ces peintres ouvriers, le long-métrage rend hommage à leur talent. 

Xiaoyong Zhao se sacrifie pour réunir la somme nécessaire à son escapade en Europe. Un luxe pour cette famille très modeste. Les réalisateurs le suivent en France, à Auvers-sur-Oise, Arles, avant de se rendre au Pays-Bas, où ils visitent le musée Van Gogh d’Amsterdam. A cette occasion, Xiaoyong Zhao rencontre l’un de ses plus importants clients hollandais qui diffuse les toiles exécutées dans les ateliers de Dafen à travers l’Europe. Lorsque Xiaoyong Zhao découvre les boutiques souvenirs où sont vendues les faux Van Gogh familiaux, il prend conscience de la marge faramineuse des marchands, et ne peut que ressentir un profond désenchantement.



Le sous-texte puissant de ce récit singulier soulignent le déséquilibre des relations commerciales entre la Chine et l’Occident, la spéculation sur des biens achetés à moindre coût en Asie et dont le prix est multiplié hors de toute proportion à l’occasion de la revente au détail aux touristes.

Sur le thème de la rencontre des cultures, « Copyright Van Gogh » évoque la quête d’idéal, d’un peintre copiste de talent qui interroge sa propre identité à travers sa pratique. Le documentaire questionne la nature de l’art et le statut d’artiste, la notion d’authenticité, la démarche créative comme expression et réalisation de soi. Xiaoyong Zhao le plagiaire chevronné se révèle à lui-même au contact de Van Gogh et se redécouvre véritablement artiste. Mélancolique et fascinant.

Copyright Van Gogh, de Haibo Yu et Kiki Tianqi Yu
Sortie le 22 décembre 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.