Paris : Hôtel Gaillard, la fantaisie d'un palais néo-renaissance au coeur de Paris, la flamboyante résidence du banquier Emile Gaillard devenue succursale de la Banque de France puis Cité de l'Economie - XVIIème




Hôtel Gaillard, édifice spectaculaire d’inspiration néo-gothique et renaissance, assume une silhouette haute en couleurs des plus décalées dans un quartier marqué par les lignes haussmanniennes et la discrétion de la pierre blonde. Le palais édifié au XIXème siècle, classé à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 12 avril 1999, fut le rêve d’un homme, Emile Gaillard (1821-1902), grand collectionneur d’art médiéval et début renaissance. Cet héritier d’une famille de banquiers grenoblois, lui-même affairiste à succès, décide en 1878 de la construction d’une curiosité architecturale sans équivalent à Paris. Il confie la réalisation de ce pastiche Louis XII largement inspiré de l’une des ailes du château de Blois, à un jeune architecte en vogue, Jules Février (1842-1937). L’Hôtel Gaillard emprunte son esthétique aux châteaux ligériens de la fin du XVème siècle. Mais sa structure métallique dans la lignée des constructions de l’atelier Eiffel est des plus modernes. Les éléments distinctifs de la façade, parement de briques et toits d’ardoise surmontés d’épis de faîtage ouvragés, balustres et fenêtres à meneaux constituent les premiers apparats d’un hôtel particulier plus castel que résidence parisienne. Au niveau des combles, les chambranles des chien-assis, petites lucarnes caractéristiques, sont marqués du G d’Emile Gaillard. Clins d’œil révélateurs de la personnalité du commanditaire et de son architecte, les marmousets au-dessus de la porte d’entrée évoque les traits d’Emile Gaillard pour celui qui porte une bourse à la main tandis que celui à l’équerre ressemble comme deux gouttes d’eau à Jules Février. Aujourd’hui après avoir longtemps été une succursale de prestige de la Banque de France, l’Hôtel Gaillard abrite Citéco, une institution muséale dédiée à l’économie.












A la fin du XIXème siècle, Emile Gaillard incarne une nouvelle haute bourgeoisie issue des milieux affairistes. Son grand-père Théodore-François Gaillard fonde la banque familiale au XVIIIème siècle. Son père, Théodore-Eugène Gaillard devient maire de Grenoble de 1858 à 1865. Lui-même, homme d’affaires avisé, il investit très tôt dans le développement des compagnies de chemin de fer. Emile Gaillard, représente les intérêts de la banque à Paris. Proche des frères Pereire, il devient promoteur immobilier. En tant que banquier, il se spécialise en gestion de biens pour des personnages prestigieux comme Victor Hugo ou encore le comte de Chambord.

Emile Gaillard a développé une sensibilité artistique particulière. Elève puis ami de Frédéric Chopin qui lui dédie une mazurka, il compose à l’occasion. Il se passionne pour l’art du XVème et du XVIème siècles. En amateur éclairé, il prise particulièrement les pièces à la jonction des esthétiques médiévale et renaissance. Alors qu’il habite rue Daru avec son épouse et leurs cinq enfants, il manifeste l’idée de faire construire un hôtel particulier digne d’accueillir ses riches collections.


1885

1890

1890

1904

1904


En 1878, Emile Gaillard se porte acquéreur d’une parcelle dans le quartier de la Plaine Monceau, au carrefour du boulevard Malesherbes, des rues Berger et Thann. Il confie le chantier à l’architecte Jules Février, alors âgé de trente-six ans. Les travaux débutent en 1882 pour s’achever fin 1884. L’hôtel particulier disposé selon un plan en U revendique avec flamboyance son profil néogothique incongru. Pastiche Renaissance, sous la pierre et le stuc se dissimule portant la quintessence de la technique moderne, une charpente métallique en fer puddlé, matériau de prédilection de l’atelier Gustave Eiffel. 

Jules Février s’inspire selon les souhaits du commanditaire de l’aile Louis XII du château de Blois, un édifice unique de l’histoire de France, qui illustre la transition entre le gothique flamboyant et l’influence de la Renaissance italienne dont l’esthétique sera portée à son apogée à Chambord, Fontainebleau, Villers-Cotterêts. Il prend également exemple sur les lignes du château de Gien, hauts combles, gargouilles, cour intérieure. L’interprétation est abondamment documentée. L’architecte se rend dans le Loir-et-Cher afin réaliser des moulages d’éléments authentiques, des détails qu’il intègre à l’architecture au milieu de pièces originales de la collection, comme les huisseries renaissance et les fresques gravées médiévales, somptueuses boiseries, portes et bas-reliefs sculptés, prélevés dans d’anciens châteaux, des monastères, des églises. Les intérieurs de l’Hôtel Gaillard bénéficient de nombreux réemplois. L’escalier d’honneur est orné de sculptures du XVIème siècle. La cheminée de la salle de bal se pare d’une frise, série de pleurants qui proviendrait de l’hôtel de Ville de Dijon. Parmi ces éléments authentiques, un personnage subsidiaire plus vrai que nature a été ajouté par l’artisan du XIXème siècle en charge de rallonger la frise.













Emile Gaillard s’entoure d’un mobilier tout aussi précieux notamment des meubles provenant du château d’Issogne de la vallée d’Aoste. Les œuvres prestigieuses de sa collection trouvent une place de choix dans cette nouvelle demeure parisienne : un tableau de Murillo représentant Saint Antoine de Padoue, un portrait d’Henri II, un ensemble de peintures flamandes du XVIème siècle. L’Hôtel Gaillard est officiellement inauguré le 11 avril 1885 à l’occasion d’un grand bal costumé qui réunit deux mille invités. Emile Gaillard accueille le Tout-Paris grimé en Henri II.

Lorsqu'Emile Gaillard décède en 1902, la banque familiale est vendue au Crédit Lyonnais. Les héritiers dispersent les collections et le mobilier aux enchères, lors d’une grande vente qui atteint des records en juin 1904. Pourtant, l’Hôtel Gaillard peine à trouver acquéreur. La somme demandée est considérable, 1,8 millions de francs. Le style néogothique passé de mode, la bourgeoisie se tourne vers l’Art Nouveau, puis l’Art Déco et bientôt le Modernisme. L’Hôtel Gaillard ne plait pas. La Ville de Paris manifeste un temps son intérêt. Les longues tractations n’aboutissent pas. Malgré une révision à la baisse du montant, le bâtiment reste inoccupé jusqu’en 1919. La Banque de France achète l’hôtel particulier au quart du prix requis par la famille.












L’institution compte y établir une succursale de prestige afin de recevoir en toute confidentialité les grandes fortunes de la Plaine Monceau. Alphonse Defrasse (1860-1939), architecte officiel de la Banque de France pour laquelle il crée de nombreux bâtiments, mène un chantier d’adaptation aux nouveaux besoins.  Ancien résident de la villa Médicis, Grand Prix de Rome en 1886, il envisage des travaux d’aménagement susceptibles de préserver le cachet unique du bâtiment. De 1920 à 1922, l’intervention respectueuse du patrimoine voit éclore dans la cour intérieure, une structure sous-verrière. La nouvelle salle des coffres installée au sous-sol, accessible par un pont coulissant, est protégée par un fossé inondé. Ce dispositif cocasse est à l’origine d’une légende urbaine tenace. La Banque de France aurait libéré chaque soir des crocodiles libérés dans ces douves afin de protéger les Dépôts. L’architecte d’intérieur Jansen revoit le décor et conserve l’esthétique singulière de l’édifice.

En 2006, la fermeture définitive de la succursale « Paris Malesherbes » marque le début d’une période de flottement. Le projet d’une institution culturelle et pédagogique financée par un mécénat de la Banque de France remporte la mise en 2011. L’équipe lauréate, composée de l’Atelier Lion de l’architecte Yves Lion, le scénographe François Confino pour la muséographie, l’architecte en chef des Monuments historiques Eric Pallot et son collaborateur Jean-Pierre Vapaille architecte du patrimoine, entame la résurrection de l’Hôtel Gaillard. L’objectif : moderniser l’ancien hôtel particulier et conserver le patrimoine.  Huit années de travaux sont nécessaires. L’accent est porté notamment sur la mise aux normes afin de recevoir du public. Les éléments contemporains, hall d’accueil, auditorium en sous-sol, vestiaires et sanitaires, circulations, s’intègrent à la structure initiale.











Le cabinet Grahal, Groupe de Recherche Art Histoire Architecture Littérature, experts auprès du Centre du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2009, mène à cette occasion études et relevés afin d’établir une liste précise des éléments patrimoniaux. Il s’agit de distinguer les habiles copies du XIXème siècle et les originaux du XVIème pour lesquels le travail d’enquête retracera leur parcours, redécouvrira leur histoire. Un grand nombre de pièces demeurent énigmatiques, telle la porte sculptée d’un Saint Michel et le dragon, aux origines mystérieuses. Les boiseries au motif « plis de serviette » aux murs de l’ancienne salle à manger croisent volontiers les époques soulignant le savoir-faire exceptionnel des artisans du XIXème siècle. 


Hôtel Gaillard 
1 place du Général Catroux - Paris 17



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette 
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du promeneur 17è arrondissement - Rodolphe Trouilleux - Parigramme

Sites référents