Cinéma : Freda, de Gessica Généus - Avec Néhémie Bastien, Fabiola Remy, Djanaïna François


2018. Dans un quartier populaire de Port-au-Prince, Janette, une femme usée par la vie et les épreuves, tient une modeste échoppe d’où elle perçoit tous les mouvements de la rue, la montée des contestations. Janette peine à joindre les deux bouts. Elle a pourtant élevé trois enfants. Sa fille aînée, la belle Esther, est persuadée qu’elle ne pourra échapper à sa condition qu’en trouvant un riche mari. Elle se blanchit la peau pour mieux correspondre à certains critères de beauté. En absence d’horizon, le petit frère se prépare à quitter Haïti pour trouver un avenir ailleurs. Et puis il y a Freda, la sœur cadette, étudiante en anthropologie qui finance son cursus universitaire en travaillant comme femme de chambre dans les beaux quartiers. Avec ses camarades, elle se mêle avec fièvre aux débats politiques. Elle veut s’engager pour le changement de la société. Malgré son âme de militante, Freda doute, déchirée par un dilemme, suivre son copain à Saint-Domingue ou rester pour être actrice du renouveau.




Le long-métrage de Gessica Généus présenté dans le cadre de la sélection « Un certain regard » au festival de Cannes 2021 a été rattrapé par l’actualité en Haïti, avec l’assassinat du président Jovenel Moïse par un commando armé le 7 juillet 2021. Evénement suivi nouveau tremblement de terre meurtrier, écho devenu familier du terrible séisme de 2010 au cours duquel l’île fut dévastée. 

« Freda », première oeuvre de fiction de la réalisatrice remarquée pour ses documentaires, notamment celui au sujet de sa mère Douvan jou ka leve, peint le portrait empathique d’un pays meurtri. Gessica Généus donne à voir Haïti dans ses contrastes, une nation frappée par les catastrophes naturelles qui peine à s’en relever, l’aide internationale insuffisante, les blessures d’un peuple, le chaos. Le pays gangréné par la corruption endémique des classes dirigeantes, est hanté par la violence fruit de l’indigence. Le propos sociétal avancé par Gessica Généus rend compte d’une réalité et questionne les fondements de l’identité haïtienne dans le cadre cette actualité mouvante, colonialisme, héritage historique, dualité culturelle entre christianisme et spiritualité vaudoue.

La sobriété de la mise en scène emprunte une esthétique brute au documentaire. Caméra au poing, la cinéaste arpente les quartiers populaires et capte en direct la montée en puissance de la colère, le désespoir. A la fiction pure, elle mêle ces images d’actualités tournées en même temps que le film, les manifestations anticorruptions, le tumulte de la rue.



Cette chronique au féminin lucide et émouvante, tournée en créole, s’attache au destin de trois personnages nuancés, la mère, ses deux filles. Elle souligne leur complexité, les contradictions, les ambiguïtés. Freda l’idéaliste, interprétée par la lumineuse Néhémie Bastien incarne la détermination d’une jeunesse prête à en découdre. A travers cette héroïne attachante en quête d’émancipation, Gessica Généus questionne la place des femmes dans la société haïtienne dominée par un patriarcat inique. Elle dénonce les inégalités d’une nation meurtrie avec une sincérité vibrante, évite l’écueil du misérabilisme, la tentation du pathos facile. 

« Freda » rend hommage à la jeunesse d’Haïti, la lutte et l’espoir, les revendications mais également les désillusions et le terrible choix entre le désir de rester au pays, la contrainte de partir par nécessité matérielle. Un film à l’énergie communicative, conscient, engageant.

Freda, de Gessica Généus
Avec Néhémie Bastien, Fabiola Remy, Djanaïna François
Sortie le 13 octobre 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.