Expo Ailleurs : Mai-Thu (1906-1980) écho d’un Vietnam rêvé - Musée des Ursulines - Mâcon - Jusqu'au 24 octobre 2021



Le musée des Ursulines célèbre le précurseur de l’art moderne vietnamien, l’artiste Mai-Thu (1906-1980). Rétrospective exceptionnelle organisée en partenariat avec le musée Cernuschi ainsi que le soutien de Mai Lan Phuong, cet événement d’envergure rend hommage à l’attachement particulier du peintre pour la ville de Mâcon, des liens d’amitié profonds noués avec certaines familles de la région à l’occasion de son séjour entre 1940 et 1942. La première exposition monographique consacrée à Mai-Thu en France réunit cent-quarante œuvres originales dont une grande partie n’a jamais été présentée au public. Le parcours chronologique et thématique embrasse la diversité des pratiques plastiques de l’artiste, des huiles sur toile de sa jeunesse à Hanoï, aux peintures sur soie de la maturité à Paris. Un abondant corpus constitué de dessins, lithographies et photographies complète l’ensemble. L’héritage pictural de Mai-Thu se révèle plus complexe que les seules saynètes tendres et sensibles relatives à l’enfance qui ont fait sa renommée. Largement reproduites dès les années 1950 à l’occasion de sa collaboration avec l’UNICEF, ces œuvres ont durablement marqué les imaginaires. Au musée des Ursulines, « Mai-Thu (1906-1980), écho d’un Vietnam rêvé » éclaire une démarche marquée par une grande délicatesse formelle, syncrétisme entre les peintures occidentale et asiatique. L’intimité idéalisée, scènes de tendresse maternelle, enfants veillés par de vénérables aïeux, jeunes filles éthérées, traduit une douceur de vivre fantasmée, une simplicité dans la plénitude. L’exposition souligne également l’intérêt du peintre pour d’autres formes d’expressions artistiques, musique, photographies, cinéma.











Mai Trung Thu nait en 1906 dans une famille aisée de lettrés originaire du village de Ro-Nha dans le Nord du Vietnam. Son père, important mandarin, haut dignitaire de la Cour de Hué, veille à ce qu’il reçoive une éducation en accord avec le statut du clan. N’étant pas l’aîné, Mai-Thu bénéficie de plus de libéralités. Il étudie au Lycée Français de Hanoï avant d’intégrer en 1925 la toute première promotion de l’Ecole des Beaux-Arts de l’Indochine aux côtés de Lê Van Dê, Lé Phô et Vu Cao Dam. 

Sous l’impulsion du gouvernement colonial français, cette institution est créée par le peintre français Victor Tardieu, qui en demeure directeur jusqu’en 1936, et l'artiste vietnamien Nguyen Nam Son. Dans la lignée de l'École nationale des Beaux-Arts d'Alger, fondée en 1843, et de l'École des Beaux-Arts de Tunis, fondée en 1923, l’enseignement suit le modèle pédagogique hérité des Beaux-Arts de Paris. 

La formation académique occidentale se double d’une initiation poussée aux techniques traditionnelles vietnamiennes comme la peinture sur soie et la laque. Mai-Thu privilégie néanmoins la peinture à l’huile pour réaliser des scènes pittoresques du quotidien, saisir la beauté de lieux patrimoniaux. Les jeunes femmes croquées dans la spontanéité de l’instant, incarnent un mode de vie traditionnel idéalisé. Peu à peu, elles évoluent vers une forme de modernité. Lors de ses études, Mai-Thu s’essaie un temps au dessin de mode pour des revues.











Diplômé en 1930, il devient professeur de dessin au Lycée Français de Hué. De nombreux musiciens demeurent dans cette ancienne ville impériale. En grand mélomane, il suit leur enseignement et devient un joueur accompli de monocorde (dan doc huyen), seize cordes (dan tranh), guitare (dan nguyet) ainsi que de flûte (sao truc). Il recevra d’ailleurs en 1960 le grand prix national du disque, pour un enregistrement de musique vietnamienne pour sa collaboration avec avec le professeur Tran Van Khé musicologue et la chanteuse Mong Trung. Tout au long de sa carrière, il prend plaisir à peindre de gracieuses musiciennes.  

Mai-Thu participe à un concours pour la création de timbres, réalise des kakemonos pour l’Exposition coloniale d’Anvers de 1930 et celle de Naples en 1934 mais demeure confidentiel. En 1937, il rejoint Paris avec Lé Phô et Vu Cao Dam à l’occasion de l’Exposition des arts décoratifs. L’année suivante, il s’installe définitivement en France. Il abandonne alors la toile pour ne plus se consacrer qu’à la peinture sur soie, une manière pour lui de se démarquer et de faire valoir ses origines. L’iconographie vietnamienne et ce support traditionnel lui permettent d’expérimenter des effets esthétiques par lesquels il croise l’Orient et l’Occident. Sa signature illustre cette dualité. Au fil du temps, le sceau chinois se double de son nom écrit en lettres latines et d’une date en chiffres arabes.











Alors que la Seconde Guerre Mondiale éclate, Mai-Thu s’engage dans l’armée. Démobilisé en 1940, il séjourne à Mâcon jusqu’en 1942. Il se noue avec les habitants de la région et réalise une série de portraits de Bourguignons, amis proches, notables. A cette occasion, il perfectionne sa technique sur soie. En 1941, il réalise pour l’église Saint Pierre de Mâcon une fresque hommage aux combattants de la Première Guerre Mondiale. Dans la chapelle Sainte Thérèse, il représente des soldats en prière sous le regard d’une Vierge aux traits asiatiques. 

A partir de cette époque, son engagement pour la paix va marquer le dérouler de sa carrière. En 1946, il est choisi pour documenter la conférence de Fontainebleau à laquelle assiste le président Ho Chi Minh. Au début des années 1950, il collabore avec l’UNICEF. Il réalise pour l’institution des représentations souriantes de l’enfance. Les reproductions de ces oeuvres largement diffusées par les éditions Braun, Euro et Stehli afin de lever des fonds lui apportent une certaine renommée publique. 

Mai-Thu rompt sa collaboration avec l’institution onusienne, lorsque celle-ci ne s’engage pas à dénoncer l’horreur de la condition des civils pris dans le tumulte de la Guerre du Vietnam. A sa manière, formule plastique très identifiable, l’artiste peint des scènes poignantes de fuite devant les combats, d’exil. Contrairement à ses pairs, il refuse de travailler avec la galerie américaine Wally Findlay. Ses prises de position le privent de certaines facilités mais son indépendance et son engagement priment.










Mai-Thu ne reçoit pas de commandes publiques. Il vit de son art grâce aux initiatives privées. Il réalise notamment un décor orientalisant pour la demeure parisienne du duc et de la duchesse de Windsor. Sa peinture sur pongé de soie, aplats et frottés de gouache, séduit les particuliers ainsi que ses dessins et portraits au pastel et à la mine de plomb. Il réalise des saynètes heureuses, de chastes nus de commande, de délicates natures mortes inspirées par la peinture traditionnelle vietnamienne. Fond monochrome, lignes simplifiées, perspectives raccourcies, les compositions rigoureuses trouvent leur unité dans une palette chromatique particulière et une conception de l’espace revisitée. Soucieux du détail, importance de la démarche globale, Mai-Thu réalise lui-même ses cadres, richement décorés, motifs ciselés, gravés, peints, baguettes patinées à la feuille d’or ou d’argent. 

La fille de l’artiste Mai Lan Phuong a fait don en 2018 de « La Baignade » au musée Cernuschi à Paris. Première oeuvre de son père à intégrer les collections publiques. Si les travaux des artistes de l’Ecole de Hanoï sont peu présents dans les fonds des institutions européennes, l’engouement manifeste des collectionneurs pour les anciens élèves des Beaux-Arts de l’Indochine fait flamber les enchères. Leurs œuvres remportent de francs succès dans les ventes publiques notamment en Asie et plus particulièrement à Hong-Kong et Singapour. 

En marge de l’exposition qui se tient au musée des Ursulines, trente œuvres de l’artiste sont présentées sur forme de reproductions monumentales à la Gare de Lyon à Paris, en tête de ligne des TGV à destination du Sud-Est de la France.

Mai Thu (1906-1980) écho d’un Vietnam rêvé
Jusqu’au 24 octobre 2021

Musée des Ursulines
5 rue de la Préfecture / 20 rue des Ursulines - 71000 Mâcon
Tél : 03 85 39 90 38
Horaires : Du mardi au samedi de 10h à 12h et de 14h à 18, le dimanche de 14h à 18h - Fermé le lundi




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.