Lundi Librairie : Par une mer basse et tranquille - Donal Ryan

 

Farouk, médecin syrien, jusqu’à présent souhaitait rester dans son pays malgré le conflit sanglant. La crucifixion d’un jeune garçon par la milice le fait changer d’avis. Avec sa femme et sa fille, ils vont traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Mais les passeurs qui devaient assurer le trajet sur une embarcation fiable se révèlent des escrocs criminels. Le bateau fait naufrage. Farouk survit. Il se retrouve parqué dans un camp de migrants en Grèce sans savoir ce qu’est devenue sa famille. En Irlande, Lampy a grandi sans père, entre une mère trop maternante et un grand-père égrillard prompte à la rigolade mais soucieux de son devenir. A vingt-trois ans, coincé dans une petite vie étroite dont il ne peut s’échapper, son horizon se limite à son boulot de chauffeur pour la maison de retraite du coin. Lampy a la tête ailleurs. Il rêve de tout plaquer. Le cœur brisé, il peine à se remettre de sa rupture avec Chloé, jeune fille de la bourgeoisie locale. Ils venaient de milieux sociaux trop différents. John, un vieil homme, se souvient d’une vie à semer la discorde, à faire du mal à son entourage. Homme d’argent, lobbyiste, il a passé son existence à tromper, manipuler allant jusqu’à dépasser allègrement les frontières de la légalité. John se souvient de son frère aîné, Edward, le préféré de la famille, le meilleur d’entre eux, mort dans sa prime jeunesse. Et il se repend. Il confesse ses péchés dans l’espoir d’un pardon divin. 

Voix puissante de la nouvelle littérature irlandaise, Donal Ryan embrasse la banalité et la tragédie de la condition humaine à travers des récits vibrants, d’une grande justesse et d’une rare sobriété. Son roman « Par une mer basse et tranquille » déployé en triptyque, s’appuie sur une trame narrative qui suit trois histoires, trois destins d’hommes blessés, reliés par un fil ténu. Le surprenant point de convergence ne sera révélé qu'à la toute fin. 

Par le biais de ces trois destinées contrastées, le romancier capture dans une fine étude de caractère l’essence des êtres. Par petites touches rapides, il parachève des portraits empathiques tout en suggestion. Donal Ryan recherche une forme de réalisme, le biais de la psychologie de ses personnages. Chacun d’eux incarne les souffrances du monde contemporaine. Le récit en ellipses s’attarde néanmoins sur la psyché torturée, douloureuse de ces hommes, perdus, qui au bord du gouffre partagent une même solitude. Le réfugié, le jeune amoureux éconduit, le vieil homme en quête de rédemption sentent bien que la bascule est proche. L’auteur apprivoise ses personnages en suivant les modulations du courant de conscience. Il choisit d’éclaire un propos intimiste au plus près des protagonistes, par l’actualité, révélant ainsi les enjeux réels du propos. Ecrivain subtil, Donal Ryan choisit la voie de la retenue et de la pudeur. La compassion sans céder au pathos. L’éthique en évitant l’écueil des bons sentiments. 

Lorsqu’il aborde le sort incertain et le parcours tragique des migrants, il se pose la question morale de revisiter le trauma des autres. Il convoque avec autant de subtilité la Syrie ravagée par la guerre, les rêves formulés par les migrants d’une existence libérée de la peur et en Europe la jeunesse sans avenir des classes sociales modestes stigmatisées. Destin limité par sa condition, le manque d’études auxquelles il n’a pas eu accès, Lampy n’aura droit qu’à des horizons limités. Le vieux John qui a mené une existence égoïste et se confronte au bilan de sa vie, éprouve la même désolation, une contrition sincère inespérée. Brutal, honnête, poignant et drôle aussi parfois, « Par une mer basse et tranquille » parvient à mettre des mots sensibles sur les expériences de ces trois personnages ainsi rendues universelles.

Par une mer basse et tranquille - Donal Ryan - Traduction Marie Hermet - Editions Albin Michel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.