Ailleurs : Ancienne église abbatiale du Moutier d'Ahun, portail gothique et boiseries baroques, somptueux patrimoine de la Creuse



L’ancienne abbatiale de Moutier-d’Ahun est l’une des églises les plus remarquables de la Creuse. Intimement liée à l’histoire d’une communauté bénédictine fondée au XIème siècle sur les bords de la rivière, celle du village embrasse le destin de ce lieu de culte réputé de nos jours pour son magnifique portail gothique et son décor baroque de boiseries exubérantes. Sur le site de l’antique ville Acitodunum qui deviendra Ahun, le Monastère, Monasterium qui évoluera en Moustier puis Moutier, a donné son nom à cette délicieuse commune française. Partiellement, en ruines, l’église de Moutier-d’Ahun possède un charme singulier. L’ancienne abbatiale victime d’un incendie dévastateur à la fin du XVIème siècle n’a jamais été entièrement reconstruite. Sur un plan en croix latine, demeurent le chevet, le transept, le clocher et quelques vestiges de la nef effondrée. Cette dernière est devenue jardin et des tilleuls évoquent les anciennes colonnes. L’église du XIIème siècle a été classée à l’inventaire des Monuments historiques par arrêté du 14 mars 1924. Le portail gothique du XVème et les boiseries du XVIIème siècle sont protégés par arrêté du 28 juin 1899. 











En 997, Boson II, comte de la Marche, fait don à l'abbaye Saint Pierre d'Uzerche d’une église consacrée à Notre-Dame, édifiée au bord la Creuse près de la ville d’Ahun. De nos jours, il ne reste aucun vestige de cette construction originelle. Placé sous l'autorité de l'abbé d'Uzerche, le monastère soumis à la règle de Saint Benoît s’organise de façon autonome et prospère tant et si bien qu’il finit par s’émanciper en 1113. Au cours de la seconde moitié du XIIème siècle, les bénédictins font édifier une nouvelle église. Toujours debout, à cette époque sont créés le transept, le clocher carré supporté par quatre piliers, percé au sommet de vingt-quatre baies romanes en arcatures groupées de deux en deux, ainsi que le chœur. La nef est couverte d’une charpente. La coupole définitive sera établie plus tardivement.

Temps troublés, époque guerrière, l’abbatiale est en grande partie détruite au cours de la guerre de Cent ans. En 1440, lors des combats de la Praguerie, la révolte du duché de la Marche contre le roi, la façade est dévastée. La reconstruction de l’église débute vers 1489. De cette période date le porche d'entrée de style gothique flamboyant date de cette période ainsi que la nef, une partie du transept et du chœur. En 1511, un schisme au sein l’abbaye trouble sa direction. Elle tombe en commende en 1559. Au XVIème siècle, les Guerres de religion sèment ruine et désolation dans la région de la Creuse. En 1591, les ligueurs menés par Toizac, seigneur de Maslaurent, se retranchent dans l’église de Moutier d’Ahun. Ils sont assiégés par les troupes protestantes de Gaspard Foucauld, comte de Saint Germain, gouverneur de la Marche désigné par le roi. Ce dernier meurt lors de l’assaut. Il est vengé quelques jours plus tard par son fils qui tue Toizac et expose son corps au pilori du village de Saint-Germain-Beaupré durant trois jours. Les ligueurs délogés, le monastère est pillé, les bâtiments conventuels et l'abbatiale incendiés. La nef et le transept s’effondrent.

 Les moines catholiques privés de sanctuaires se dispersent. Le site est laissé à l’abandon durant près de vingt ans. Les villageois se servent des ruines comme d’une carrière et prélèvent des pierres taillées afin d’édifier leurs maisons. La communauté religieuse investit à nouveau le lieu en 1610 dans des conditions de vie très précaires. La reconstruction de l’église débute en 1612 et se poursuit en plusieurs vagues. Le chantier le plus important dure entre 1616 et 1619. Le dortoir des moins ne sera cependant achevé qu’en 1648. L’abbaye est rattachée à l’ordre de Cluny en 1630. A ce titre, Moutier d’Ahun appartient depuis 2015 à la Fédération européenne des sites clunisiens. La communauté demeure très modeste au fil des ans. Elle ne dépasse jamais plus de huit moines et deux novices. 





Au XVIIème et XVIIIème siècle, des différends opposent les moines désireux de rétablir la splendeur ancienne de l’abbaye et les abbés commendataires, nommés par le roi. Ces derniers ne résident pas sur place. Ils encaissent les revenus et estiment selon leur bon vouloir les montants reversés à la communauté pour son entretien incluant les travaux de restauration et d’embellissement. Les procès se multiplient jusqu’à la dissolution de l’ordre prononcé par le roi. En 1788, un bref papal prescrit la suppression de « l’ancienne observance » de Cluny. 

En 1791, la Révolution confisque les biens de l’Eglise qui deviennent Biens Nationaux et sont vendus par adjudication. Les derniers religieux sont chassés. En 1844, sous le Directoire, l’église abbatiale est rendue au culte et devient église paroissiale de la ville de Moutier-d’Ahun. Les derniers reliquats de la nef sont rasés à cette époque. Dans le jardin déployé à sa place, le monument aux morts de la commune côtoie une ancienne borne leugaire gauloise qui remonte à l’an 243, règne de l’empereur Gordien III. Elle précise la distance entre Ahun, ancienne Acitodunum, et Limoges, Augustoritum, trente-quatre lieues gauloises. 

De nos jours, il ne reste rien des bâtiments originaux. Les vestiges les plus anciens remontent à reconstruction du XIIème siècle. Le carré du transept, surmonté du clocher, et le chœur sont d’époque romane. Le portail ouest en granit date du XVème siècle. Une curieuse stèle funéraire enchâssée dans la paroi mentionne « Aux mânes et à la mémoire de Caïus Falvius Alpini ». Les croisillons du transept et la nef du XVème siècle n'ont pas été relevés à l’occasion des diverses réhabilitations.










Apogée de la visite, les boiseries sculptées du XVIIème siècle forment un curieux spectacle à l’exubérance opulente. Au milieu du XVIIème siècle, désireux de doter l’église d’un décor somptueux, les bénédictins et leurs prieurs Jean Le Moyne, puis Etienne Le Moyne, prieur de 1640 à 1694 font appel aux services d’un éminent sculpteur auvergnat Simon Bauer (ou Bouer), originaire du bourg de Menat. Il intervient à deux reprises entre 1673 et 1674 puis 1678 et 1681 pour créer ce magnifique ensemble, exemple frappant d’art baroque d’inspiration bavaroise. Le foisonnement des motifs s’éloigne souvent du registre sacré pour embrasser celui du monde profane. 

Durant la première étape, il réalise le grand retable à colonnes torsadés et scènes bucoliques. Au cours de la seconde, Simon Bauer et ses compagnons cisèlent les entourages et les décorations des portes des chapelles latérales du chœur se parent d’un foisonnement de motifs. De 1678 à 1680, ils sculptent les vingt-six stalles veillées par des cariatides. Décorées de visages, de motifs floraux et d'animaux fantastiques, elles empruntent à la mythologie, au monde naturel. Dauphins, oiseaux locaux, anges, créatures merveilleuses non-identifiées, oliviers, chênes, vignes, amandiers, tournesols, feuilles d’acanthe, les boiseries rendent hommage à la générosité de la nature. Le jubé est exécuté en 1681 ainsi que l'imposant lutrin aux lions siamois. La clôture du chœur s’orne d’un Christ bicéphale, crucifié à l’Ouest crucifié, couronné et ressuscité à l’Est. 










La tradition orale du village suggère que durant les Révolutionnaires anti-cléricaux auraient recouvert les boiserie d'une couche d'enduit blanc. En 1896, l'administration des Beaux-Arts tente en vain de décaper ce lait de chaux. L'abbé Victor-Julien Malapert, curé de Moutier-d'Ahun de 1904 à 1963 sera le sauveur de ce chef-d’oeuvre baroque. Armé principalement de patience et de détermination, il fait renaître ces décors. Le prêtre consacre sa vie à les restaurer et acquiert au passage le surnom « d’abbé gratteur ». Les boiseries sont classées aux Monuments historiques depuis 1889. Au début des années 2000, une nouvelle campagne de nettoyage plus superficielles a été menée afin de neutraliser la coloration au brou de noix que l'abbé avait choisi et ainsi redonner la couleur originelle du chêne à ce décor.

Eglise de Moutier-d’Ahun
1 Place de l'Église - 23150 Moutier-d'Ahun
Tél : 05 55 62 55 93
Tarif adulte sans audioguides 3,50€
Tarif adulte avec audioguides 5,50€
Horaires
- Juillet et août : lundi matin et du mercredi au dimanche et jours fériés de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30
- Mars à juin et septembre au 11 octobre : ouvert tous les jours même fériés sauf le mardi de 14h à 17h
- A partir du 12 octobre et de novembre à janvier : du vendredi au dimanche et jours fériés de 14h à 17h.
- Fermé le 1er janvier
- Ouvert pour les journées du Patrimoine



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.