Cinéma VOD : Malcolm & Marie, de Sam Levinson - Disponible sur Netflix

 

Malcolm, cinéaste, et Marie sa compagne, mannequin aspirant à devenir actrice, rentrent de l’avant-première du dernier film de Malcolm. Cantonné jusqu’à présent dans des tâches ingrates de débutant, l’écriture et la réalisation de films de commande sans envergure artistique et tout à fait dispensables, il a enfin pu s’exprimer en tournant son premier long-métrage personnel. Jusqu’à présent, ses œuvres avaient reçu des accueils critiques très mitigés. Cette fois-ci, les journalistes semblent emballés et le comparent déjà à Spike Lee ou Barry Jenkins. Euphorique, un peu ivre, il s’auto-congratule tandis que Marie semble distante. Lors du discours de remerciement, Malcolm n’a pas mentionné sa muse. Pourtant, elle l’a soutenu durant tout le processus de création. Et puis cette histoire d’une jeune africaine-américaine luttant contre ses addictions, c’est la sienne. D’ailleurs pourquoi ne lui a-t-il pas confié ce premier rôle qu’elle connaissait si intimement ? Dans la grande maison californienne louée par la production, Malcolm et Marie règlent leurs comptes. Ils se déchirent et s’aiment, révèlent leurs rancoeurs, remettent leur relation en question. Ils se jettent au visage invectives cruelles et mots d’amour, puis se réconcilient. Au fil de la nuit, alors que les premières critiques paraissent, ils s’interrogent sur le rôle politique des artistes, leur responsabilité vis à vis de la société, la lecture forcément biaisée des oeuvres. Ils remettent en question l’entre-soi du microcosme de l’industrie cinématographique, la puissance des réseaux sociaux et l’ère d’hypocrisie, de pure façade, qu’ils ont engendré. 






Sam Levinson, créateur de la série « Euphoria », livre un huis clos volcanique, une scène de ménage entre deux fortes personnalités, deux artistes habités auxquels les dialogues vibrants interprétés par de remarquables comédiens prêtent une profondeur psychologique rare. « Malcolm & Marie » ne renie pas une certaine forme de théâtralité qui sied à cet affrontement amoureux. Les références esthétiques et thématiques, John Cassavetes, Ingmar Bergman, Wong Kar Wai, résonnent puissamment. 

Ecrit en six jours, tournés en deux semaines, le film embrasse un minimalisme dicté par les conditions techniques particulières liées à la crise sanitaire et aux mesures prophylactiques. Du fait du « lockdown », le confinement en Californie, le tournage de la série « Euphoria » a été suspendu ce qui a permis à Sam Levinson de monter ce long-métrage dans l’entre-deux avec néanmoins des moyens limités.

Geste cinématographique, les partis pris visuels forts confèrent aux images une beauté plastique frappante dans un noir et blanc élégant très âge d’or hollywoodien. La sophistication esthétique tend vers une épure qui souligne la radicalité de la forme. Le réalisateur traduit en images le chaos de la vie, la complexité des sentiments avec une énergie bouillonnante. L’intimité filmée avec sensibilité souligne la férocité des propos, les ardeurs d’une sincérité brutale. 




Pulsions, désir, explosion de rage cathartique, introspection, tristesse et solitude, l’expressivité du film repose sur la puissance d’incarnation. La précision du cadrage révèle sur les visages des acteurs, la vérité des cœurs, saisit le frémissement de l’émotion, les variations subtiles de l’ambition, l’admiration, l’aigreur aussi. Poésie lyrique de l’amour, le désir, la colère et la douleur, dynamique à deux de la complicité. Zendaya, premier rôle de la série « Euphoria », magnifique de naturel, nuancée, habitée, d’une beauté presque irréelle fait face à un impeccable John David Washington, pas mal de sa personne également, qu’on a vu récemment en tête d’affiche de « Tenet ».  

Cette radiographie du couple, sur fond de guerre d’ego, aborde en filigrane des thématiques politiques fortes, Black Lives Matter, Me Too, la place des femmes dans l’industrie cinématographique, les dérives de la bien-pensance, l’hypocrisie de la société américaine, le racisme larvé… Ce mélodrame captivant s’illustre par sa sincérité et la densité du propos. 

Malcolm & Marie, de Sam Levinson
Avec Zendaya et John David Washington
Disponible sur Netflix



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.