Paris : Portail de l'hôtel Raoul, vestige d'un ancien hôtel particulier du Marais au 6 rue Beautreillis, imbroglio autour d'une restauration compromise - IVème


Le Portail de l’hôtel Jean-Louis Raoul au 6 rue Beautreillis est le dernier vestige d’un hôtel particulier qui datait de 1606. Plus tardif, le porche du XVIIIème surmonté d’un fronton triangulaire, s’inscrit curieusement à l’avant d’un immeuble moderne typique des années 1960. Naufragé anachronique, délicieuse incursion du temps passé dans notre quotidien contemporain. Dans un état de délabrement certain, le portail à refends est la cible régulière de vandalisme. La porte en bois et les vantaux ouvragés semblent inspirer les taggueurs sans talent. Démoli au milieu des années 1960, l’hôtel Raoul est probablement le dernier hôtel particulier du Marais à subir ce sort avant l’application de la loi Malraux promulguée en 1962, en faveur de la préservation du patrimoine architectural du Marais, désormais secteur sauvegardé. L’inscription gravée au tympan du portail « Hôtel de Jean-Louis Raoul », apposée à l’occasion de sa disparition, préserve le souvenir de ce qui fut. Mais l’élégante décrépitude cache un véritable casse-tête concernant le financement d’une très souhaitable restauration. En attente d’une solution, de mécènes, d’un bienfaiteur, Le Portail de l’ancien hôtel Jean-Louis Raoul patiente encore un peu.











En 1606, Paul Ardier (circa 1563-1638), Conseiller du roi sous les règnes d’Henri III, Henri IV et Louis XIII se fait construire un hôtel particulier sur les anciennes parcelles de l’hôtel Saint-Pôl, résidence royale de Charles V, démolie, domaine loti par Catherine de Médicis au décès de son époux Henri II. Novateur en son genre, il s’agit de l’un des premiers hôtels particuliers du Marais à adopter la disposition entre cour et jardin.

Du XVIIème jusqu’au XIXème siècle, de nombreux propriétaires se succèdent souvent des magistrats en pleine ascension. Sous le Premier Empire, les jardins s’étendent jusqu’aux actuels numéros 13 et 15 de la rue du Petit-Musc. En 1810, Jean-Louis Raoul (1751-1844) fait l’acquisition de ce bien luxueux. Ce fabriquant de limes entreprenant a fait fortune grâce à l’exploitation d’un brevet d’origine anglaise, assurant dureté et solidité de ses produits. Il fait installer ses ateliers dans la cour même de l’hôtel particulier. Une véritable fabrique industrielle dotée de forges, d’enclumes, de soufflets, prend forme. Raoul sera honoré de distinctions particulières en qualité de grand industriel.

Afin de rentabiliser son investissement, il envisage rapidement de surélever le bâtiment de deux étages. Ils compartimentés en logements locatifs modestes. Tandis que les propriétaires demeurent dans les appartements du premier étage au riche décor Louis XV préservé, la pension Raoul héberge jusqu’à vingt et une familles, en 1926, soit près de soixante personnes. Evolution, ajouts successifs, l’intégrité esthétique de l’ensemble est compromise au fil des décennies qui passent.






Dans les années 1950, le Marais dans un grand délabrement multiplie immeubles insalubres et ilots dangereux. Afin de redonner vie à ce quartier, deux écoles s’opposent. La première envisage de tout raser et reconstruire tandis que la seconde propose de rénover et préserver le patrimoine qui peut être sauvé. Les héritiers de Jean-Louis Raoul toujours propriétaires ne peuvent que constater la vétusté de l’ancien hôtel particulier situé sur les parcelles du 6 rue Beautreillis et 13 et 15 rue du Petit-Musc. Il a perdu toute valeur mais pas les terrains. Ce sera la démolition en deux temps. Grâce à la Loi Malraux en faveur du patrimoine, le Marais est déclaré zone protégée, secteur sauvegardé en 1962. 

Néanmoins, en 1965, le chantier de démolition débute. Une grande partie de l’hôtel Raoul est rasée. Le portail, situé sur une parcelle détachée du reste de la propriété, est sauvé in extemis en 1966 par l’intervention de Monsieur Laprade, architecte urbaniste des bâtiments de France chargé de l'aménagement du Marais. 

Démantibulé, le bâtiment a semé quelques éléments architecturaux épars, ont trouvé une nouvelle fonction sur les édifices modernes. Des garde-corps en fer forgé ont été réemployés au 15 rue du Petit-Musc. L’horloge aux dauphins sur la façade annexe se trouvait à l’origine dans la cour sur laquelle ouvrait le portail. Placée au-dessus de la porte d’entrée de l’ancienne bâtisse, elle accueillait les visiteurs. Plus récente que l’ancien hôtel particulier, elle daterait de 1850/1880 comme le laisse à penser l’inscription « fabriqué par Perret » encore visible, horloger exerçant à cette époque. Sa forme singulière attire l’œil. Un auvent conique en zinc inhabituel protège un cadran entouré d’un décor de bois sculpté aux deux dauphins. 







Le Portail de l’hôtel Raoul, survivance la plus frappante, est désormais défendu avec ferveur par Michel Cribier, dynamique président du conseil syndical de l’immeuble moderne devant lequel se trouve le porche. L’homme s’est pris de passion pour ce morceau d’histoire. Le site qu’il lui a dédié est une mine précieuse et foisonnante d’informations. Il se trouve ici.

Son combat porte principalement sur le financement de la restauration éstimée lors d’un premier devis établi à la demande de Michel Cribier entre 80 000 et 100 000 euros, 350 000 selon la direction des affaires culturelles de la Ville. La prise en charge des frais pose problème. Le portail n’est pas protégé au titre des monuments historiques. Cependant, le porche répond aux critères établis par le plan de sauvegarde du Marais qui stipule que « les murs, grilles de clôture, portes et portails doivent être conservés et restaurés ».

En 2015, les descendants de Jean-Louis Raoul à qui le porche appartient toujours mais qui rêvent de se débarrasser de cet encombrant héritage, ont proposé à la Ville de Paris de céder le portail à titre gracieux, offre laissée sans réponse. Le 9 avril 2019, ils déposent alors une demande de démolition. Après consultation de la Commission du Vieux Paris, elle est rejetée par l’architecte des Bâtiments de France du Marais Samantha Deruvo et la Ville de Paris. A cette annonce, les héritiers entament une procédure en justice à l’encontre de la municipalité. Les héritiers se tournent alors vers la copropriété de l’immeuble devant lequel se trouve le portail. Ils proposent un rachat de la parcelle pour la somme d’un euro symbolique. L’offre est rejetée en assemblée générale du 17 juin 2019 à 70% des voix. L’Etat via la direction des affaires culturelles régionales s’étant également défaussé, c’est désormais vers la Fondation du patrimoine que les espoirs se tournent. Affaire à suivre.


Portail de l’Hôtel Raoul
6 rue Beautreillis - Paris 4



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le Marais, évolution d’un paysage urbain - Danielle Chadych - Parigramme
Le Marais secret et insolite - Nicolas Jacquet - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme

Sites référents