Cinéma VOD : Cemetery of splendour, de Apichatpong Weerasethakul - Disponible gratuitement sur Arte. TV


Dans la province de Nissa, aux abords de la petite ville de Kon Khaen, des militaires ont installé un hôpital de fortune dans une école à l’abandon. Un dortoir a été improvisé dans l’une des anciennes classes. Vingt soldats y sont alités, plongé dans une étrange narcolepsie, frappés par une mystérieuse maladie du sommeil. Tandis que les infirmières prennent soin de ces corps inertes, un défilé de bulldozers, mené par l’armée, creuse autour du dispensaire provisoire à la frontière de la jungle. Jenjira, une femme d’un certain âge, à la jambe gauche handicapée, s’est portée volontaire pour aider bénévolement à veiller sur les dormeurs. Elle prend soin d’Itt, un soldat sans famille qui ne recevait jusque-là aucune visite. Keng, une médium, communique avec les esprits de ces hommes et sert d’intermédiaire avec les familles. Un jour, Jenjira trouve le journal d’Itt. Elle découvre des pages couvertes de dessins étranges et de propos mystiques, références à des légendes. Bientôt, le personnel de l’hôpital s’interroge sur la relation entre le syndrome inexpliqué et les mythes locaux. Parmi la végétation touffue qui enserre l’ancienne école se trouvent des ruines d’un palais. Elle aurait d’ailleurs été construite sur le cimetière même de ces rois guerriers qui ont mené d’épique bataille dans la région.






 
Le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or en 2010 avec « Oncle Boonme » a imaginé un film hypnotique dont la coloration fantastique attise les imaginaires. Oeuvre contemplative, irriguée par la grâce, « Cemetery of splendour » sélectionné dans la section Un Certain Regard de Cannes 2015. Son réalisateur a souhaité mener une « quête des esprits anciens de [son] enfance ». Avec ce cimetière royal qui influence les êtres qui vivent près de lui, site d’une civilisation disparue point de passage entre les mondes, il s’inspire des mythes et légendes thaïlandaises pour tisser sa narration. 

Apichatpong Weerasethakul embrasse les réalités mouvantes des songes. L’omniprésence d’un monde parallèle, des esprits défunts suggère une fluidité entre les zones du réel et des imaginaires oniriques. Le film possède la fantaisie des songes et une certaine malice candide empruntée à son personnage principal Jenjira. Les clés de l’interprétation ne seront pas toutes transmises. Les âmes circulent. Les palais sont invisibles, la magie presque palpable, les maux inexplicables. Les déesses empruntent l’apparence de jeunes filles. Le cinéaste distille le merveilleux par petites touches charmante dans le quotidien sans aspérités, d’une petite d’une grande banalité.  




D’une sérénité communicative, le film tourné en lumière naturelle se déploie, expérience poétique à la beauté plastique évidente. Le récit reflète une certaine lenteur presque somnambulique qui évoque celle des dormeurs. La narration linéaire contrairement aux films précédents d’Apichatpong Weerasethakul, distend le temps, soudain comme suspendu. Les plans longs et fixes marqués par leur profondeur de champ confèrent un rythme à rebours des productions actuelles trépidantes. 

La poésie de la voie contemplative produit des images méditatives, des arrêts énigmatiques sur le ventilateur au plafond, une turbine posée sur le lac voisin. Il est question de se laisser happer par ces atmosphères en décalage avec la réalité, dans un envoûtement serein, un apaisement expérimental. Cette dimension onirique ne fait pas l’impasse sur la situation sociale en Thaïlande. Le cinéaste a imaginé une oeuvre en prise avec les réalités politiques de son pays qui forment la toile de fond de son film. 
 
Cemetery of splendour, d’Apichatpong Weerasethakul 
Avec Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi, Jarinpattra Rueangram
Sortie le 2 septembre 2015 - Disponible gratuitement sur Arte.TV ici



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.