En pleine tempête de neige, un couple de citadins prend la route pour se rendre dans une ferme reculée en rase campagne. Ils sont ensemble depuis peu et Jake souhaitent officialiser la relation en présentant la jeune femme à ses parents. Mais cette dernière doute. Durant tout le trajet, plongée dans ses pensées, elle rumine. Elle n’aurait pas dû accepter ce dîner alors qu’elle songe déjà au bout de six semaines à quitter Jake. Mais comment trouver le courage de lui annoncer alors qu’elle n’a même pas su dire non à cette rencontre avec les beaux-parents. Une fois sur place, le comportement étrange de Jake trouve un écho singulier dans celui de sa mère et de son père. Le chien lui-même agit d’une drôle de façon.
Charlie Kaufman, scénariste de "Dans la peau de John Malkovitch", "Eternal Sunshine of the Spotless Mind", réalisateur de "Synecdoche New York" et "Anomalisa", signe un troisième long-métrage très attendu. Adaptation du roman de Iain Reid, "Je veux juste en finir " embrasse une intrigue classique empruntée à la banalité du quotidien le plus normal pour la projeter dans la complexité d’une forme d’inconscient désaxé.
Le réalisateur exploite les subtils déséquilibres engendrés par les sentiments de solitude, de désespoir ou les regrets afin créer des motifs étranges jusqu’au malaise. Ainsi il génère une tension vibrante et révèle la fragilité psychologique de personnages perpétuellement au bord de la rupture. Il explore la psyché humaine, décortique les angoisses et met l’âme à nu par le biais de métaphores paradoxales. La folie rôde. Le film flirte avec les genres et les codes du fantastique comme de l’horrifique sans jamais tout à fait s’y adonner pleinement. La coexistence de différentes temporalités, soulignée par un montage en décrochages et ruptures, trouble troubler la perception du réel dans un décalage surréaliste cauchemardesque.
Les comédiens impeccables délivrent avec panache une partition subtile. Dans son rôle de jeune femme horripilante, dont le prénom et la profession - tour à tour, artiste, étudiante en gérontologie, en cinéma, doctorante en physique, Jessie Buckley est parfaite, émouvante, irritante, troublée. Face à elle, Jesse Plemons inquiète par son étrange placidité qui semble dissimuler tant de choses inquiétantes. La merveilleuse Toni Collette interprète une belle-mère doucereuse et flippante face à son double masculin David Thewlis, angoissant et éthéré.
Parfois abscons, souvent bavard, le film revendique une dimension cérébrale mais pourrait bien surtout être pompeux. Son ambition première se laisse dévorer par une tendance aux affèteries ampoulées, des longueurs prodigieusement agaçantes. Pourtant, il fascine, déconcerte et brille par ses trouvailles esthétiques et scénaristiques. Charlie Kaufman n’hésite pas assumer le grotesque afin d'incarner et de prolonger son questionnement existentiel. Le long-métrage réunit la plupart des thématiques fortes propres à l’univers du réalisateur, le sens de la vie, la relativité du temps, le couple et la peur de l’engagement. Il interroge l’identité et sa perte, l’épreuve de la maladie dans le grand âge, la dépendance.
Oeuvre labyrinthique, claustrophobique, imparfaite et hypnotique, « Je veux juste en finir » refuse de donner toutes les clés. Le réalisateur a volontairement laissé l’espace nécessaire à l’interprétation.
Je veux juste en finir, de Charlie Kaufman
Avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette, David Thewlis
Disponible depuis le 4 septembre 2020 sur Netflix
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire