Lundi Librairie : Robert des noms propres - Amélie Nothomb



Outre un prénom peu commun, la petite Plectrude est née sous de drôles d’auspices. Sa mère Lucette, à peine dix-neuf ans, enceinte, a révolverisé son père, sur une impulsion soudaine, parce qu’il était décidément d’une banalité impardonnable. Au lendemain de son accouchement en prison, elle met fin à ses jours par pendaison. Recueillie chez sa tante Clémence et son oncle David, Plectrude, l’orpheline aux yeux intenses, est élevée dans l’ignorance du drame. Ils lui font croire qu’elle est leur troisième enfant, occultant son histoire tragique. Très tôt Clémence qui adule Plectrude, projette tous ses espoirs déçus et ses rêves de jeunesse enfuis sur la gamine. Elle lui prédit un destin extraordinaire de grande ballerine et s’extasie aussi bien de son don manifeste pour la danse que pour son refus de s’intéresser à l’école. A la fois surdouée et cancre, la fillette entre en rébellion contre la norme. Lorsque Plectrude est admise chez les petits rats de l’Opéra, elle entame un long chemin de souffrance physique en se soumettant au culte de la minceur extrême. 

Biographie romancée de la chanteuse Robert pour laquelle Amélie Nothomb a écrit sept chansons, ce court récit fantasque convoque toute la fantaisie de l’auteur couplée à un humour noir exquis. Par ce goût manifeste du merveilleux, de la singularité, l’écrivaine dénonce une nouvelle fois la vulgarité des préjugés envers les êtres différents. Dans une rocambolesques succession d’épreuves traversées avec grâce par la petite ballerine, Amélie Nothomb peint un monde de l’enfance préservé de la banalité du quotidien adulte.

A travers la description des rapports mère-fille ambigus, Amélie Nothomb interroge la notion de filiation et de déception que peuvent ressentir les parents vis à vis de leurs enfants. Par égoïsme inconscients, ils refusent l’individualité à leur progéniture pour leur imposer leurs propres rêves, révélant ainsi leurs failles personnelles et leurs peurs intimes. 

Plectrude, capable de réenchanter l’existence par ses entrechats, est animée par un désir, de style. Elle rejette la fadeur de la norme, rêve d’une vie grandiose. Par le biais de la danse, de son corps, elle vise le sublime que sa ténacité lui permet de toucher du doigt. Ses extravagantes arabesques comme ses inventions incongrues condensent toute sa détermination à faire de sa propre vie une oeuvre d’art.

Le monde de la danse classique, véritable sacerdoce pavé de sacrifices permet à l’auteur de tisser un parallèle entre la meurtrissure physique et psychologique. Le corps poussé à des extrémités, maîtrisé, cadenassé dans un idéal malsain, est sommé de répondre à la quête de l’excellence, inaccessible perfection. Les mortifications de la chair et les privations, le renoncement à la vie sociale ne sont que les signes superficiels d’une volonté farouche d’élévation spirituelle.

Les thèmes nothombiens classiques, anorexie et tyrannie des apparences, volonté de conserver un corps d’enfant, la beauté bénédiction et malédiction, les contes de fée, alimentent le propos à la fois macabre et pétulant de ce délicieux conte moral. La fable édifiante lorgne du côté de la satire sociale piquante

Robert des noms propres - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Edition de poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.