Paris : Villa Mulhouse, ancienne cité ouvrière à Auteuil, exquise enclave privée déployée le long des villas Dietz-Monnin, Emile Meyer, Cheysson - XVIème



La coquette Villa Mulhouse, à deux pas de l’opulent Hameau Boileau, et du cimetière d’Auteuil, rappelle par son intrigante conformation de cité ouvrière, l’ancien faubourg champêtre de Paris, annexé en 1860. A la fin du XIXème siècle, époque à laquelle a été tracée la villa, le quartier du Point du Jour est loin d’être l’enclave résidentielle bourgeoise qu’il est devenu. L’ensemble de ruelles étroites disposées en Pi de la Villa Mulhouse a été officiellement inauguré en 1887. Le lieu discret, de nos jours difficilement accessible, est le fruit d’une expérimentation à caractère philanthropique menée par Emile Cacheux (1844-1923). Désireux d’améliorer la qualité du logement ouvrier et d’ouvrir l’accès à la propriété aux classes laborieuses, cet ingénieur également sociologue poursuit plusieurs projets en ce sens, dont les plans reçoivent des prix lors de congrès internationaux. Villa Emile Meyer, Villa Dietz-Monnin, Villa Cheysson et avenue Georges Risler composent la trame d’un tableau pittoresque, émouvantes survivances d’un passé industrieux. La cité originelle construire entre 1882 et 1892 a été pensée sur le modèle des cités jardins anglaises. Les pavillons annoncés par des jardinets ont été remaniés avec faste au cours du XXème siècle par un nouveau genre de riverains. Désormais maisons de ville cossues, les soixante-sept habitations de la Villa Mulhouse, souvent surélevés de plusieurs étages, incarnent le rêve de la campagne à Paris dans l’un des quartiers les plus recherchés de la Capitale.










La Villa Mulhouse joue les discrètes derrière des grilles jalousement closes. Depuis la rue Parent de Rosan, ouverte en 1836 sous la dénomination « impasse des Pauvres », devenue « impasse Boileau », les villas Emile Meyer et Dietz-Monnin laissent à peine entrevoir dans l’abondance de la glycine des trésors de charme. Côté rue Boileau, voie de l’ancienne commune d’Auteuil, indiquée sur le plan de Roussel dès 1730, connu au XVIIème siècle sous l’appellation « rue des Garennes », nom d’un lieu-dit datant du XVème siècle, la villa Cheysson ne laisse que peu d’indices sur sa plaisante nature. Selon les différentes source, l’avenue de la Frillière ouverte en 1887 aurait été l’un des éléments de la Villa Mulhouse mais semble aujourd’hui tout à fait autonome aussi bien sur le plan architectural qu’en terme d’accès. L’entrée principale de la villa Mulhouse se situe au numéro 19 de la rue Claude Lorrain. Ouverte en 1823, cette rue du village d’Auteuil, tout d’abord allée du Cimetière puis passage des Clos, est rattachée à la voirie parisienne en 1877 à la suite de l’annexion des communes et prend le nom du peintre à cette date.

La genèse du projet d’une cité ouvrière à Auteuil remonte à l’expérience originelle menée à Mulhouse en Alsace par Jean Dollfus (1800-1887) industriel, économiste et homme politique. Directeur de la firme textile Dollfus-Mieg et Compagnie depuis 1826, il s’intéresse au sort de ses employés. A partir de 1835, il organise la construction de logements individuels pour les ouvriers de ses usines. Il conçoit bientôt d’étendre cette initiative et imagine l’une des toutes premières cités ouvrières en France. Jean Dollfus s’inspire du modèle des cités jardins anglaises, ensemble de maisons mitoyennes édifiés sur un même modèle et toute doté d’un jardin éventuellement potager. En 1853, l’industriel fonde la Société mulhousienne des cités ouvrières. Le chantier débute en 1854. Les premiers pavillons reportent un franc succès. A la fin des années 1870, l’ensemble compte près de 1000 habitations. La cité est achevée en 1895. Elle se compose de 1 240 maisons ouvrières où sont logés près de 10 000 habitants.











Dès 1875, Jean Dollfus et l’ingénieur Emile Muller ambitionnent de réaliser en banlieue parisienne une cité ouvrière inspirée de celle établie à Mulhouse. Le projet n’aboutit pas mais donne des idées à Emile Cacheux (1844-1923), ingénieur et sociologue, élève de Muller.

Cacheux hérite par son épouse d’une quinzaine d’immeubles parisiens, où réside une population modeste d’ouvriers et de petits employés. Devant l’état déplorable de ces habitations, il s’intéresse à la situation du logement ouvrier en France et mène une réflexion sur l’amélioration des conditions de vie, portée par les théories hygiénistes de l’époque. En 1879, Emile Cacheux co-signe avec Emile Muller un ouvrage intitulé « Habitations ouvrières en tout pays ». Emile Muller est présenté dans ce recueil comme Professeur à l’Ecole centrale des Arts et manufactures, ancien président de la société des ingénieurs civils, architecte des cités ouvrières de Mulhouse, membre du jury de l’Exposition (section Economie sociale, relative aux habitions ouvrières. Emile Cacheux, ent tant que Fondateur des Cités ouvrières des Lilas, du boulevard Kellermann, de l’impasse Boileau, du boulevard Murat, Médailles d’or à l’exposition d’hygiène de Londres et à l’Exposition universelle de Paris 1878 pour ses travaux relatifs aux habitations ouvrières.

A la suite de cette étude, ce dernier considère des investissements dans la construction de logements ouvriers individuels. Ces maisons seront disponibles à prix abordable afin de faciliter l’accès à la propriété d’une certaine catégorie de la population qui était exclue du marché immobilier. Ses plans de cités jardins à la française sont récompensés par une médaille d’or de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, ainsi qu’une médaille à l’Exposition internationale de Sydney.











A partir de 1880, Emile Cacheux tente de réunir les capitaux nécessaires à la réalisation d’un ensemble de pavillons dans le quartier du Point du Jour à Auteuil. Il fait édifier dix pavillons témoins, livrés en 1882 mais peine à réunir les fonds nécessaires à l’aboutissement de son projet initial de 400 maisons. Administrateur de la Société d'hygiène, de la Société d’habitations ouvrières de Saint-Denis, de la Société d’habitations ouvrières de Passy-Auteuil - à laquelle il vend les dix premières - puis de la Société française des habitations à bon marché, Cacheux désinvestit ses fonds personnels. 

Les objectifs de l’entreprise sont redéfinis par le conseil d’administration de la société. Différents types de pavillons sont envisagés, moins onéreux que les modèles proposés originellement. La deuxième phase de construction donne naissance à trente nouveaux pavillons d’un étage puis à partir de 1891 de maisonnettes en rez-de-chaussée, ouverte sur une courette creusée en avant du logis et doté de cuisines en sous-sol ouverte sur un soupirail. Le prix de revient des maisons est compris entre 5 500 et 10 000 francs. Les annuités du crédit sur vingt ans se révèlent accessibles uniquement à des ouvriers très qualifiés et des employés installés dont le revenu est considéré comme confortable.











Voie d’accès principale à la villa Mulhouse depuis la rue Claude Lorrain, l’avenue Georges Risler, ouverte en 1882 sous le nom d’avenue Jean Dollfus, a pris le nom de l’industriel Georges Risler (1853-1941) en 1936. Curieuse placette plus qu’une avenue, elle forme un T avec la villa Cheysson.  La petite église orthodoxe de Tous les Saints de la Terre Russe donne au lieu un parfum d’ailleurs.

Les trois allées ouvertes en 1887, passages devenu villas en 1937, ont évolué au fil du temps et de l’embourgeoisement du quartier. Perpendiculaire à l’avenue Georges Risler, la villa Cheysson porte le nom d’un propriétaire de terrain. Depuis celle-ci, la villa Emile Meyer, également baptisée en hommage à un propriétaire trottine jusqu’à la rue Parent de Rosan. La villa Dietz-Monnin rend hommage à un homme politique alsacien, Charles Dietz-Monnin (1826-1896), tour à tour député puis sénateur. Elle abrite les premières constructions datant de 1882. Les maisons originelles d’un étage, entrée avec marquise, tonnelle, petit jardin en bordure d’allée mesurée une surface moyenne de 48m2. Dès 1892, l’intervention de l’architecte Emile Bernard modifie la donne.

La physionomie de la villa Mulhouse a beaucoup évolué depuis le projet d’Emile Cacheux. Au cours du XXème siècle, les pavillons ont été surélevées au cours du XXème siècle par les propriétaires successifs. Le quartier enrichi, les riverains appartiennent de nos jours à une extraction un peu différente. Les maisons de ville de la villa Mulhouse assument désormais leur qualité de véritable luxe au cœur de Paris.

Villa Mulhouse - Paris 16
Avenue Georges Risler, villa Cheysson, villa Dietz-Monnin, villa Emile Meyer
Accès 19 rue Claude Lorrain 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit
Hameaux, villas et cités de Paris - Isabelle Montserrat Farguell et Virginie Grandval - Action artistique de la Ville de Paris
Le guide du promeneur 16è arrondissement - Marie-Laure Crosnier Leconte - Parigramme 
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme

Sites référents
Gallica BNF
Nomenclature de la Ville de Paris