Paris : Castel Béranger, la gloire d'Hector Guimard, l'architecture Art Nouveau des beaux quartiers - XVIème



Le Castel Béranger, première réalisation d’envergure d’Hector Guimard (Lyon 1867- New York 1942) incarne l'un des symboles de l'architecture Art Nouveau à Paris. Grâce à cette oeuvre emblématique réalisée entre 1895 et 1898, Guimard connaît un succès fulgurant. Pour ce projet décomposé en trois immeubles d'habitation à loyers modérés, il s’inspire tout d'abord des préceptes stylistiques d’Eugène Viollet-le-Duc et du rationalisme pittoresque. Mais à la suite d’un voyage en Belgique marquant durant lequel il rencontre Victor Horta, il change de pied et embrasse pleinement la veine Art Nouveau. Soucieux de se faire remarquer, le jeune Guimard modifie radicalement le programme esthétique en rupture avec l’académisme. Les lignes remarquables du Castel Béranger illustrent la rigueur technique et le rejet de la symétrie. Le graphisme nerveux et dynamique souligne l’abondance des motifs décoratifs qui tendent volontiers vers l’abstraction. La fantaisie jusqu’à l’étrangeté s’exprime dans les détails ornementaux pléthoriques, bestiaire fantasmagorique, chats, oiseaux, créatures marines, insectes. Hector Guimard désire créer une oeuvre totale en maîtrisant l’ensemble de la création des trois immeubles, des bâtiments eux-mêmes jusqu’à l’architecture d’intérieur des trente-six appartements ainsi que le mobilier. Le Castel Béranger facilite une ascension professionnelle rapide. Le relais médiatique est tel, qu’Hector Guimard accède à la célébrité immédiate. La presse est fascinée par la modernité de son imagination débridée. La chute sera d’autant plus brutale lorsque passés de mode le style Guimard et l’Art Nouveau tomberont en disgrâce au lendemain de la Première Guerre Mondiale pour n'être réhabilités que dans les années 1970. 










Le Castel Béranger nait d’une rencontre dans le cadre des mondanités de la bonne société d’Auteuil. En 1894, Amélie Clotilde Carpeaux, la veuve du sculpteur, commandé à Hector Guimard une surélévation de l’Atelier où est conservé le fond d’œuvres de son mari. Très vite, elle introduit l’architecte auprès de la bourgeoisie d’affaires du XVIème arrondissement. Dans ces nouveaux cercles, il fait la connaissance d’Elisabeth Fournier, veuve d’un manufacturier en drap. Héritière d’une parcelle à bâtir au 12 rue La Fontaine et d’un capital, elle souhaite faire construire un immeuble de rapport à loyers modérés. 

Hector Guimard commence de travailler sur le projet fin 1894. Il le baptise rapidement Castel Béranger, du fait de la proximité du hameau éponyme. C’est la première fois qu’il emploie le terme castel, « petit château » qu’il utilisera par la suite à de nombreuses reprises. L’architecte imagine trois bâtiments disposés autour d’une cour-jardin. Chacun possède escalier et ascenseur autonome. Les façades sur cour sont visibles depuis l’impasse Béranger. Elles traduisent dans leurs articulations l’agencement des volumes intérieurs. 

Durant l’été 1895, Guimard voyage en Belgique, au moment même où il finalise les plans du Castel Béranger. Il fait la connaissance de Victor Horta et découvre l’hôtel Tassel à Bruxelles. Séduit par l’Art Nouveau, il révise radicalement les plans décoratifs de l’ensemble de la rue La Fontaine. A ce moment nait l’idée d’une œuvre totale, notion qui l’obsédera jusqu’à la fin de sa carrière. Il dessine tout lui-même jusqu’au moindre détail de la décoration d’intérieur, balcons, ferronnerie, serrurerie, vitraux, mobilier, papier peint, moquette.

Le 16 septembre 1895, la Ville de Paris délivre l’autorisation de construction pour trois bâtiments d’habitation. Le budget strict - le Castel Béranger demeure un immeuble de rapport à loyers modérés - pousse Hector Guimard à limiter l’usage de la pierre de taille trop dispendieuse. Par choix économique, il alterne donc les matériaux, brique rouge, émaillée, grès flammé, pans de meulière et crée des jeux de couleurs, harmonies en tonalités claires. Les deux premiers étages et la partie latérale gauche du Castel sont composé en pierre de taille, le reste en motif de briques roses et de meulière. Par cette combinaison de matériaux, Guimard touche à la notion de beauté peu coûteuse, répertoire ornemental à moindre frais. L’entrée principale du Castel Béranger est développée en pierre de meulière sculptée équilibrée par deux colonnes. Le portail plaques de cuivre rouge et ferronnerie turquoise attire l’œil. Les vestibules en grès cérame, grès vernissé, est réalisé en rappel dans des tonalités vertes et cuivrées. La patte Guimard s’exprime dans la répartition des balcons et bow windows, autorisés depuis 1893 qui deviendront sa marque de fabrique à l’instar des ferronneries très ouvragées.









Le gros oeuvre débuté à l’automne 1895 s’achève en décembre 1896. Hector Guimard se concentre alors sur la conception des décors extérieurs encorbellement, garde-corps mais également intérieurs, lambris, papiers peintes, cheminée, quincaillerie. Durant l’année 1897 il travaille sur les vitraux et les modèles du mobilier. Au printemps 1897, le Castel Béranger n’est pas encore achevé mais 25 appartements sur les 36 qu’ils comportent sont déjà réservés. Guimard lui-même s'installe dans un cabinet au rez-de-chaussée à l’angle entre la rue et le hameau. Le peintre Paul Signac s’installe dès le printemps 1897 dans un appartement atelier sur rue au sixième étage. Il qualifie la réalisation de Guimard d’« excentric hosue » et vante sa praticité, sa modernité et son esthétique étrange auprès de ses amis. Le chantier s’achève en 1898. L’ensemble est entièrement occupé.  

La singularité de la façade du Castel Béranger séduit les édiles. Elle est primée par la Ville de Paris lors du tout premier concours de façades le 28 mars 1898. Le 4 avril, une exposition consacrée à l’architecte et au Caste Béranger est inaugurée dans les salons du Figaro. La réalisation du Castel Béranger et son style hors de tout canon classique déchaîne les passions. Les riverains parmi les premiers détracteurs de l’ouvrage, surnomment la réalisation de Guimard « la maison des diables » en référence aux masques grimaçants du décor considérés comme des caricatures de l'architecte lui-même" ou encore « le castel dérangé ». L’immeuble fascine toujours autant plus d’un siècle après sa création.

Hector Guimard en stratège songe faire fructifier le succès médiatique et assurer sa promotion auprès de riches commanditaires. En novembre 1898, il publie un album très complet, portfolio de 65 planches en couleur et photographies. La monographie très complète contribue à faire du projet un manifeste du style Guimard. Edité sous le titre « L’Art dans l’habitation moderne / Le Castel Béranger », elle valorise son programme stylistique dans une présentation détaillée de l’architecture extérieure et intérieure. Les mosaïques, les ferronneries, les fontes, les revêtements intérieurs tels que les papiers peints, lincrustas Walton, cordolovas, les tapis d’escalier, les vitraux, les cheminées, les céramiques, les staffs et les éléments de quincaillerie, poignées de porte, sonnettes, crémones, etc. sont répertoriés avec un soin extrême. 











Hector Guimard qui a souvent travaillé avec la société Muller pour la réalisation des éléments en céramique de ces constructions ne fait pas appel à cette compagnie pour le projet du Castel Béranger. Les entreprises Gilardoni fils et A. Brault et Cie réalisent les panneaux de céramique émaillé tandis que A. Bigot et Cie intervient pour le grès émaillé. Ce matériau très solide, permet grâce à son mode de cuisson de produite des teintes pastel douces au contraire de la faïence cantonnée aux teintes franches. Le grès est Llun des matériaux les plus emblématiques du style Art Nouveau. Spécialiste des grès flammés destinés aux façades d’immeubles, l’artisan Alexandre Bigot créée son propre atelier en 1897. Il comptera jusqu’à 150 ouvriers spécialisés, contribuant pour une part importante à l’esthétique architecturale de l’époque. 

Hector Guimard imagine un linoleum mural pour les lambris des salles à manger du Castel Béranger. Cette nouvelle façon de tapisser les murs, synonyme de modernité, remporte un franc succès à fin du XIXème siècle. La toile enduite gaufrée en relief plein, pose facile et résistance, permet une grande diversité de décor. En 1877, l’anglais Frederic Walton dépose un brevet en France pour ce qu’il désigne sous le nom de lineoleum muralis. Joseph Musnier, ingénieur français, achète les brevets en 1880 et fonde la société Lincrusta-Walton. Cette entreprise se charge de la réalisation du linoleum décoratif du Castel Béranger.

La Maison Fontaine fondée en 1740, spécialiste de la quincaillerie et de la serrurerie réalise des éléments en exclusivité pour le Castel Béranger. Pitons de tringle des tapis d’escalier, poignées de porte palières, plaques de sonneries électriques, boutons de serrure, ces pièces exécutées d’après les dessins de Guimard ne figurent pas au catalogue de la maison. Une grande partie de ces éléments, démontés, est désormais conservée au musée d’Orsay. Maison en activité depuis 1820, Le Mardélé, fabricant de papiers peints, toiles peintes, reproductions de tapisserie, tenture de style, réalise les papiers peints pensés pour décorer le Castel Béranger.












Auteur de la coupole décorative de la Brasserie Bofinger, Georges Néret, spécialiste des vitraux peints, émaux, mise en plomb a ouvert son atelier en 1850 à Compiègne, atelier agrandi par la suite et installé à Paris. Il prend en charge les vitraux de différents styles du Castel Béranger ceux de la loge, des escaliers, des antichambres et des fenêtres des appartements. La Maison Ch. Sauzin conçoit les boutons de porte en céramique. Jean Ringel d’Illzach médailleur sculpteur maître cirier, verrier, céramiste, collaborateur récurrent de la maison Muller, réalise avec Raphanel les modèles de sculptures imaginés par Guimard. La Maison de menuiserie d’art Le Cœur et Cie prend en charge parquets, charpentes en bois et escaliers.

Après une longue période de purgatoire, le retour en grâce de l’Art Nouveau à partir des années 1970 remet l’oeuvre d’Hector Guimard sur le devant de la scène. Si l’architecte a souhaité introduire dès 1900 l’expression « Style Guimard » afin de se dissocier du courant Art Nouveau, son image reste attachée à ce mouvement.

Le Castel Béranger a fait l’objet de classement et de déclassement aux Monuments historiques selon les obédiences gouvernementales. Au début des années 1990, il est mal ou pas entretenu par les propriétaires successifs peut-être dans l’idée d’obtenir des autorisations afin de le raser. Les terrains sont rares et précieux dans un quartier où la spéculation immobilière va bon train. Son état de délabrement préoccupe les instances culturelles. Procédure aussi rare qu’extrême, le Castel Béranger est classé d’office aux Monuments historiques par le Ministère par décret du 31 juillet 1992. Il a fait depuis l’objet d’une campagne de réhabilitation extensive en 1998, transformant l’ensemble en copropriété. Le vestibule de l’immeuble sur rue a été entièrement restauré en 2010. Ce chantier délicat a permis de replacer 120 mètres linéaires de décor de ferronnerie ainsi que la plaque « Castel Béranger » du portail d’entrée.

Castel Béranger
12-14 rue Jean de la Fontaine - Paris 16



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie 
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 16è arrondissement - Marie-Laure Crosnier Leconte - Parigramme
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Curiosités de paris - Dominique Lesbros - Parigramme 

Sites référents