Nightlife : Mobster Bar, cocktails chics, speakeasy raffiné et mythe des années 1920 - Paris 11



Le Mobster Bar, ouvert l’hiver dernier, célèbre l’univers ultra-photogénique des Années Folles. Succombant à la tendance des bars cachés, il revendique sa filiation piquante avec les speakeasies de la Prohibition américaine. Rue Crussol, la façade anonyme réserve quelques secrets savoureux. Signalé par deux intrigantes silhouettes en noir et blanc à la mode Roaring Twenties, le Mobster Bar mise sur le brelan de la séduction flamboyante alliée à la discrétion et au pittoresque. Surmontée d’un téléphone d’un autre âge, une singulière cabine caparaçonnée d’acajou dissimule l’entrée de cet écrin intimiste. L’établissement propose une véritable expérience décalée. A lui seul, le décor Art déco exquis ouvre une faille spatio-temporelle. Les visiteurs sont transportés à l’époque mythique des années 1920, lieu idéal pour les rendez-vous romantiques comme les soirées entre amis. L’atmosphère musicale savamment distillée embrasse une playlist hommage aux géants du jazz américain, révélés dans les bars clandestins. Dès le pas de la porte, les voix d’Ella Fitzgerald et Lady Day accueillent les assoiffés. Le show se poursuit en majesté dans les verres où les plaisirs hédonistes liquides sont mis en scène avec panache. Les cocktails signature de la maison s’inspirent des grands classiques imaginés sous la Prohibition, compositions épatantes remises au goût du jour, équilibres aromatiques et contrastes de saveurs.











Depuis six ans, Francisco et Javier Lozano, pilotent au cœur du quartier Latin, le Mobster diner, spécialiste du burger. Fascinés par le Chicago d’Al Capone, les deux frères ont décliné cette thématique, de leur restaurant jusqu’à ce nouveau bar comme une belle évidence. Javier, passé par l’EM Lyon, carrière dans la finance, Francisco, ancien de Sciences Po, historien d’art, ont conjugué leur âme d’entrepreneurs et leur passion pour le sujet. 

Le nom du Mobster bar, clin d’œil à la pègre enrichie au temps de la Prohibition grâce au trafic d’alcool, à lui seul donne le ton. Le concept, cohérent dans les moindres détails, assume une élégance qui distingue l’établissement de ces concurrents du quartier Oberkampf. Embrassant le folklore des bars clandestins, imagerie diffusée dans toute la culture populaire par la littérature et le cinéma, le Mobster Bar emprunte à la fois au pur style Art déco et à la flamboyance du « Gatsby » de Baz Luhrmann. 

Le soin apporté au décor, trouve sa pleine expression dans l’atmosphère qui se dégage des lieux. La stylisation géométrique des motifs se retrouve dans les quatre types de papier peints, les luminaires style Tiffany, lampes et appliques en verre taillé, les éléments d’ébénisterie qui habillent le bar ou encore dans les plafonds à caissons. Le foisonnement de détails confère une authenticité paradoxale à la mise scène, ici un gramophone prêt à chanter, au mur des tableaux réalisés pour le Mobster Bar dont un émouvant portrait de Zelda et Francis. Les banquettes de velours languissent dans le boudoir intimiste attenant. 

Autodidactes de la mixologie, Francisco et Javier Lozano ont acquis les bases grâce à leurs relations dans le milieu des bars parisiens, rejoints bientôt derrière le comptoir par Audrey formée à l’European Bartender School. A la carte du Mobster Bar, six cocktails et deux mocktails, auxquels s’ajoutent les deux créations du moment, illustrent un soin particulier apporté à l’originalité des saveurs. Les ingrédients de caractère lorgnent avec insistance du côté de l’Amérique du Sud. Le Pisco Acholado, eau de vie de raisin traditionnelle, l’Inca Kola, Chicha morada boisson à base de maïs violet appartiennent tous au patrimoine gastronomique péruvien.











La carte du Mobster Bar suggère des compositions élaborées avec esprit, démarche de gourmet. Les jeux de contraste soulignent les nuances gourmandes ou rafraîchissantes. Le raffinement affirme son épicurisme. Art du mélange, quête des équilibres, au Mobster bar, les recettes historiques remises au goût du jour s’inspirent de l’âge d’or du cocktail. Les plus mythiques compositions, dont le succès perdure jusqu’à nos jours, ont été inventées sous la Prohibition.

En 1920, aux Etats-Unis, le Volstead Act, porté par les ligues de tempérance, interdit la production et la vente d’alcool. La consommation demeure néanmoins légale. Se procurer des spiritueux devient difficile. La contrebande se développe sous l’égide des familles mafieuses, lucratif commerce dans lequel s’illustre notamment Al Capone, à Chicago, ville frontière avec le Canada. Les distilleries traditionnelles mettent la clé sous la porte. La perte de savoir-faire ouvre la voie à l’improvisation et au système D. La fabrication de « bathtub gin », littéralement « gin de la baignoire », alcool maison le plus souvent frelaté, devient un sport national aux Etats-Unis. Dans les bars cachés, les spiritueux ne sont pas toujours du meilleur tonneau. 

Les bartenders des speakeasies cherchent à dissimuler les âcretés éventuelles des alcools, fruits de la moonshine, en créant des cocktails dont les ingrédients très aromatiques masquent les saveurs trop singulières. A cette époque, jaillissent dans les verres les emblématiques, Bee’s Knees, gin, miel et citron, dont le nom fait référence à une expression argotique et Last Word, gin, chartreuse verte et liqueur de marasquin. Le rhum, importé clandestinement depuis les Caraïbes, est consommé agrémenté de cola façon Cuba Libre ou fruité comme pour le Mary Pickford, jus d'ananas frais, grenadine et liqueur de marasquin.











Au Mobster Bar, la qualité des spiritueux est au service de l’art de la mixologie et les compositions s’épanouissent dans le cristal taillé de verres élégants. Le Dizzy Gillepsie, baptisé en hommage à la légende du jazz américain, improvise un solo sur le thème du classique Bee’s Knees. Gin, basilic, citron jaune, menthe, sirop de miel, le cocktail, joliment troussé dans ces notes vertes se révèle d’une étonnante douceur. Le Santa Rosa - Angostura, champagne, chicha morada, Grand Marnier, carré de sucre, infusion de maïs rouge - déclinaison coruscante du champagne cocktail, flambe dans la rondeur de notes exotiques. 

A Rhum Supreme, version revisitée d’un El Presidente, créé en hommage d’une grande figure de Cuba, le président Machado, n’aurait certainement pas déplu à John Coltrane. Rhum brun, Lillet blanc, sirop de fraise, Grand Marnier, sirop de vanille, zeste d’orange, la composition tempère la puissance du rhum par l’attrait des agrumes et le moelleux des sirops. 

Incontournables, les créations du moment, imaginées en fonction de l’inspiration et de la saison, sont proposées sur un élégant flyer à part. Ce jour-là, le Citizen Kane - Pisco, liqueur de rose, jus de raisin, citron vert, sirop de mile, menthe, Perrier - enchante par sa fraîcheur, le goût des souvenirs heureux… Rosebud. Clin d’œil à l’actualité, L’antidote - Whisky, bière Corona, Cointreau, Orange bitter, Vermouth blanc, purée d’abricot - malicieux et équilibré se sirote avec entrain. En cas de petites faims, planches de fromages et charcuteries sélectionnés avec soin, s’invitent à la table. 

Et si à la maison vous vivez sous le régime de la Prohibition, je vous laisse une copie de l’ordonnance officielle datant de 1932, fournie par Winston Churchill, en visite aux Etats-Unis, afin d’avoir accès aux boissons alcoolisées, particulièrement au cours de ses repas.

Mobster Bar
8 rue de Crussol - Paris 11
Ouvert tous les soirs du mardi au samedi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.