Cinéma VOD : Tom à la ferme, de Xavier Dolan - Disponible sur Netflix


Tom, jeune citadin branché de Montréal, travaille dans une agence de pub avec son compagnon Guillaume lorsque celui-ci meurt dans un accident. A l’occasion des obsèques qui se déroulent au fin fond de la campagne québécoise, Tom se rend seul à la ferme des parents de Guillaume, une exploitation moderne sans âme. Il fait la connaissance d’Agathe, la mère, qui le prend pour un simple ami de son fils. Guillaume, sous la pression de Francis, son frère aîné, s’était inventé une petite amie du nom de Sarah. Alors qu’Agathe se désole de l’absence de celle-ci, Francis, lui, n’ignorait rien de l’orientation sexuelle de Guillaume. Il sait parfaitement qui est Tom. Il le menace afin qu’il garde le secret et fasse illusion. A la sortie des funérailles, alors que Tom s’apprête à repartir, Francis l’alpague et exige qu’il prolonge son séjour. Il le contraint à rester. Malgré les sévices physiques, Tom se soumet à cette forme de séquestration volontaire. Agathe, murée dans son chagrin, au bord de la folie, ne voit rien ou ne veut rien voir du drame qui se noue sous ses yeux.







Histoire d’emprise délétère, thriller psychologique glaçant, « Tom à la ferme » développe une réflexion aiguë sur l’homophobie ordinaire, l’incommunicabilité, les névroses sociales, l’intolérance. Avant la consécration lors du Festival de Cannes 2014 avec « Mommy », Xavier Dolan signe en 2013 un quatrième long-métrage inspiré, adapté de la pièce du dramaturge québécois Marc Michel Bouchard.  Dispositif naturaliste, économie de moyens, le scénario resserré a permis de réduire le nombre de jours de tournage à dix-sept. Le cinéaste assume pleinement les mouvements d’impulsion, les élans instinctifs, les expérimentations. A l’écran, la verve, l’emphase assumée, la dérision soulignent l’absurdité d’une situation angoissante, l’atmosphère oppressante développée avec virtuosité. Xavier Dolan distille à dose égale suspense et mélodrame. Par cet alliage inédit, il dépasse l’exercice de style pour créer une oeuvre vénéneuse d’une grande profondeur. 

La construction de ce huis clos claustrophobe entre deux hommes emprunte aux mécaniques redoutables du thriller psychologique. Le réalisateur rend hommage à Hitchcock, distillant nombres de références à « Sueurs froides » et « Psychose ». Alors que se précise la menace insidieuse, la perversion va crescendo. Xavier Dolan renverse alors la pression en ajoutant à la formule une bonne dose de pop culture. Il jouant avec les motifs iconiques de la série B. Le thriller se mue en film d’horreur puis le registre horrifique vire à nouveau vers le mélodrame. Sur le thème terreur et séduction, sadisme et masochisme, le cinéaste interroge la dangerosité des désirs muets, entre répulsion et attraction. Dans une atmosphère poisseuse, le face à face révèle la violence des pulsions.




Grâce à la complexité des personnages, la narration subtile va au-delà des archétypes. Xavier Dolan incarne lui-même le jeune urbain en milieu rural inhospitalier englué dans les relations torves qu’il entretient avec Pierre-Yves Cardinal, incarnation perverse de la brute épaisse. Tom privé de son deuil, développe une forme de culpabilité. Le frère lui permet d’accéder à son désir d’autoflagellation. En perdition, il pense trouver la rédemption dans la souffrance. Face à lui, Francis exprime sa détresse, sa frustration, son esseulement dans cette violence infligée à l'autre. L’ombre de la démence plane. Les deux protagonistes de cette relation mortifère font chacun une sorte de transfert sur l’autre. Francis voit son frère en Tom et Tom voit son amant en Francis. Menaces physiques, manipulations mentales, entre le dominant et le dominé l’ascendant psychologique n’est pas si claire. Dans un grand mouvement cinématographique, Xavier Dolan s’attache à saisir les relations ambiguës entre un bourreau parcouru de failles et une victime sous emprise. Fascinant, dérangeant, troublant.

Tom à la ferme, de Xavier Dolan
Avec Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy, Evelyne Brochu
Sortie le 16 avril 2014
Disponible sur Netflix



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.