Paris : Camille Pissarro, la Ville Lumière à l'aune de l'impressionnisme



Camille Pissarro (1830-1903), l’un des pères de l’impressionnisme, a marqué le mouvement de son empreinte à la fois par son travail pictural mais également par un don véritable de révélateur de talents, exercé auprès de la jeune génération. Sa grande amitié avec Paul Cézanne en est l’un des exemples les plus frappants. Par goût de la ruralité, Pissarro s'est fait peintre de la vie champêtre et des campagnes françaises. Néanmoins, il a abondamment célébré les paysages du Paris haussmannien. Fasciné par la ville nouvelle réinventée sous le Second Empire au gré des grands travaux du baron Haussmann, il a multiplié les séries parisiennes. Scènes du boulevard Montmartre, toiles réalisées autour du Louvre, des Tuileries, vues multiples sur le Pont Neuf et la Seine incarnent cet attrait pour la modernité urbaine. S’attachant aux perspectives modifiées par les phénomènes atmosphériques, Camille Pissarro observe les effets climatiques, les variations lumineuses, la transformation des teintes au gré de la journée aussi bien que le mouvement de la foule. Il cherche à traduire de façon plastique ce sentiment né de la contemplation. Sa palette chromatique atypique, détachée d’un pragmatisme réaliste, retranscrit les perceptions plutôt que la matérialité physique de la ville. Par la touche unique d’une peinture libre, vivifiante, il convoque le ressenti plutôt que la réalité et saisit la respiration de la vie, définition même de l’impressionnisme. En 1896, Camille Pissarro témoigne « Nous ne demandons pas mieux que d'être classiques, mais en le trouvant par notre propre sensation, oh ! que c'est différent ! ».


1863 La tour du télégraphe à Montmartre

1875 Quai de la Seine à Paris - Pont Marie quai d'Anjou

1878 - 79 boulevard des Batignolles

1880 Le boulevard de Clichy


Artiste à la marge, libre-penseur, sympathisant anarchiste, Camille Pissarro tient le rôle de patriarche au sein du mouvement impressionniste. Ces talents de pédagogue marquent ses élèves parmi lesquels Paul Cézanne, Paul Gauguin, Jean Peské, Henri-Martin Lamotte. Tout entier habité par son oeuvre, il se révèle travailleur acharné, réalisant près de 1500 tableaux, 600 gouaches, milliers d’aquarelles. 

Sa quête perpétuelle de nouveauté, son envie d’évolution le mènent à des expérimentations techniques. Il refuse le pittoresque, repousse les tentations commerciales. Pissarro ne connaîtra que tardivement la reconnaissance. Il n’a pas le sens des affaires encore moins de la communication et son nom a tendance à être éclipsé par ceux qui auront mieux su faire parler d’eux. Le Musée d’Orsay conserve le fond français le plus important. Un grand nombre d’œuvres ont été dispersées dans des institutions muséales du monde entier et de prestigieuses collections privées.  


1897 Boulevard Montmartre, après midi, temps de pluie

1897 Boulevard Montmartre, coucher de soleil

1897 Boulevard Montmartre, mi-carême 

1897 La Mi-Carême sur le Boulevard Montmartre

1897 Boulevard Montmartre, matin brumeux

1897 Boulevard Montmartre, matin d'hiver

1897 Boulevard Montmartre, matin, soleil et brouillard

1897 Boulevard Montmartre, matin, temps gris

1897 Boulevard Montmartre, printemps

1897 Boulevard Montmartre, printemps

1897 Boulevard Montmartre, printemps, pluie

1897 Boulevard Montmartre, après-midi, soleil

1897 Boulevard Montmartre, effet de nuit

1897 Boulevard Montmartre, Mardi gras, coucher de soleil 


Jacob Abraham Camille Pissarro naît le 10 juillet 1830 à Charlotte-Amélie, sur l’île de Saint Thomas, appartenant alors aux Antilles danoises devenues depuis les îles Vierges américaines. Son père, Frédéric-Abraham-Gabriel Pissarro, un Français d’ascendance juive portugaise épouse en 1826, sa mère, Rachel Thétis Manzano-Pomie, créole des Antilles danoises. Elle est juive également mais ils sont neveu et tante par alliance et de ce fait leur mariage acté n’est reconnu par la Synagogue qu’en 1833, entraînant un certain rejet de la part de la communauté. 

Dans cette famille plutôt bourgeoise qui vit grâce à un commerce florissant de quincaillerie, Camille Pissarro va recevoir de ce fait une éducation inédite. Le jeune garçon suit l’enseignement d’une école évangélique qui accueille de nombreux descendants d’esclaves. Cette situation particulière pourrait être le germe d’une indépendance d’esprit rare.  Camille Pissarro fait l’apprentissage du dessin et de la peinture en autodidacte. 

De 1842 à 1847, l’adolescent est envoyé en France poursuivre ses études dans la pension Savary situé à Passy. Le directeur, féru d’art, l’encourage et lui conseille de s’exercer d’après motif. De retour aux Antilles, le jeune Pissarro au destin tout tracé dans le négoce paternel, passe des journées entières aux docs pour croquer les marins et l’activité incessante du déchargement des bateaux. Sa vocation d’artiste se fait plus prégnante mais son père s’y oppose fermement. En 1852, Camille Pissarro se rend au Venezuela avec son ami le peintre Fritz Melbye. Première rupture avec son père. 


1897 Boulevard des Italiens, après-midi

1897 Boulevard des Italiens, matin

1897 Rue Saint Honoré, après midi, effet de pluie 

1898 Rue Saint Honoré, effet de soleil, après-midi

1898 Rue Saint Honoré, place du Théâtre Français, effet de soleil


Puis en 1855, il s’installe définitivement en France alors que l’Exposition Universelle bat son plein. Dans un premier temps, il demeure à Passy dans sa famille de métropole puis s’installe au 49 rue Notre Dame de Lorette. Il découvre Eugène Delacroix, Jean-Auguste-Dominique Ingres et Charles-François Daubigny. Camille Pissarro éprouve des affinités particulières avec la peinture de Jean-François Millet et Gustave Courbet. Après un rapide passage à l’Ecole des Beaux-arts, où l’enseignement académique des ateliers ingristes ne lui réussissent pas il se tourne vers les ateliers indépendants. Jean-Baptiste Corot devient son maître. 

De 1857 à 1861, il fréquente diverses écoles dont l’Académie de Charles Suisse où il fait la connaissance de Claude Monet, dont il restera très proche tout au long de sa vie malgré des démarches artistiques radicalement différentes. Il rencontre Ludovic Piette, Armand Guillaumin et Paul Cézanne, début d’une autre amitié importante marquée par une admiration réciproques. Installé au 12 rue de l’Abreuvoir, plus ancienne maison de la Butte désormais Musée de Montmartre, où se trouvent de nombreux ateliers d’artistes, Camille Pissarro se lie avec Pierre-Auguste Renoir, Alfred Sisley, Frédéric Bazille. En 1860, Julie Vellay entre comme gouvernante au service de la famille Pissarro. Coup de foudre. Tout d’abord modèle du peintre, elle devient sa compagne. Cette relation scandalise son père. 


1893 Place Saint Lazare

1893 Rue Saint Lazare

1897 Rue Saint Lazare

1897 Rue Saint Lazare - Effet de neige


Camille Pissarro participe au Salon des Refusés en 1863 aux côtés d’Edouard Manet, Henri Fantin-Latour, Johan Barthold Jongkind. Il sera admis au Salon à partir de 1864. Les teintes sont encore sombres terreuses, la touche fondue presque indécelable. Les dix années qui viennent vont bouleverser ce vocabulaire plastique. Rapidement, Pissarro développe un goût évident pour la lumière, la couleur. Il remet en question les principes de la peinture académique et cherche à la fois à montrer la réalité, saisir la perception du moment et révéler la nature abstraite du paysage. 

De 1866 à 1875 le groupe impressionniste des Batignolles se retrouve au Café Guerbois 9 avenue de Clichy (anciennement 11 Grande rue des Batignolles). Edouard Manet, Claude Monet, Edgar Degas, Auguste Renoir, Henri Fantin-Latour, Frédéric Bazille, Alfred Sisley, Louis Forain et Camille Pissarro passe des soirées entières à refaire le monde. Ce dernier fréquente les peintres de la Nouvelle Athènes, groupe dans lequel circulent les idées libertaires et anarchistes. Bientôt, il s’engage politiquement.


1893 Place du Havre

1897 Place du Havre

1897 Rue d'Amsterdam

1898 Avenue de l'Opéra, effet de neige

1898 Avenue de l'Opéra, effet de pluie

1898 Avenue de l'Opéra, place du Théâtre Français, effet de brume

1898 Avenue de l'Opéra, soleil, matin

1899 Avenue de l'Opéra, effet de neige


En 1870, durant la guerre franco-prussienne, Camille Pissarro se rend en Angleterre où il retrouve Monet. A la National Gallery, les deux peintres découvrent la couleur et la lumière de John Constable et William Turner. Claude Monet lui présente Charles-François Daubigny qui joue un rôle primordial en introduisant Pissarro auprès du marchand d’art Paul Durand-Ruel. 

Julie est enceinte de leur quatrième enfant en 1871. Ils se marient civilement à Croydon en Angleterre, enceinte de leur quatrième enfant. Le père, outré par cette mésalliance, coupe les vivres à son fils. Camille Pissarro qui vend mal ses toiles, et ce jusque très tard dans sa carrière, va connaître des années de vaches maigres. Il parvient à s’en sortir grâce au soutien financier de Claude Monet, Ludovic Piette, Gustave Caillebotte qui l’hébergent aussi à l’occasion avec sa famille nombreuse.


1898 Place du Théâtre Français, après midi, soleil, hiver 

1898 Place du Théâtre Français 

1898 Place du Théâtre Français, effet de pluie

1898 Place du Théâtre Français, effet de soleil

1898 Place du Théâtre Français, printemps

1898 Place du Théâtre Français, effet de brume


De 1872 à 1874, de retour en France, Camille Pissarro travaille à Louveciennes et Pontoise en compagnie de Cézanne. Communauté d’idée, partage et réflexion, les influences mutuelles se font grandement ressentir dans leur peinture. Cézanne qui le décrit en ces termes « Ce fut un père pour moi (…) cet homme à consulter (…) quelque chose comme le bon Dieu » initie Pissarro à une forme de structure, de géométrie dans l’ordonnancement des compositions. 

Grâce à l’invention du tube de peinture, les impressionnistes révolutionne la peinture. Ils ont la possibilité de travailler sur le motif en plein air. Camille Pissarro pose son chevalet sur les lieux mêmes qu’il va peindre, multipliant les points de vue, saisissant le même endroit à divers moments de la journée, à différentes saisons. Ce type de recherche donne naissance à des séries qui traduisent les variations de la lumière. L’évolution des couleurs est palpable. Les tons clairs, les touches vives soulignent les effets de matière, la trace du pinceau qui rend le geste visible. 


1899 Le Carrousel, après midi 

1899 Le Carrousel matin, automne

1899 Le Carrousel, temps gris

1900 Le Carrousel 

1899 Jardin des Tuileries, effet de brouillard 

1899 Jardin des Tuileries, effet de neige

1899 Jardin des Tuileries, matin, temps gris

1899 Le jardin des Tuileries, après midi, hiver

1899 Le jardin des Tuileries, après midi, hiver

1900 Le jardin des Tuileries

1900 Vue du jardin des Tuileries

1900 Le jardin des Tuileries, effet de neige

1900 Le jardin des Tuileries, matin, printemps

1900 Bassin des Tuileries, après-midi

1900 Le jardin des Tuileries, soleil, après midi

1900 Les Tuileries et le Louvre

1900 Les Tuileries et le Louvre


La Société Anonyme des Artistes, Peintres, Sculpteurs et Graveurs organise le15 avril 1874 la première exposition impressionniste réunissant 165 toiles et 30 participants dans l’atelier de Nadar 35 bd des Capucines. Elément fédérateur, doyen, figure paternelle Camille Pissarro joue un rôle essentiel dans la vie du mouvement impressionniste. Il s’investit pleinement dans les accrochages, les rencontres entre artistes, rédige lui-même la Charte officielle du groupe.

Pissarro contribue largement à l’organisation des huit expositions consacrées aux peintres impressionnistes auxquelles participe à chaque fois - il sera le seul. Il aime partager, transmettre et rêve d’une communauté d’artistes. Les jeunes protégés se rassemblent autour de lui. Il leur prodigue ce conseil : « Peignez généreusement et sans hésitations pour garder la fraîcheur de la première impression. Ne vous laissez pas intimider par la nature, au risque d’être déçu du résultat. »


1901 Le Pont Neuf

1901 Le Pont Neuf

1901 Le Pont Neuf, après-midi, pluie

1901 Le Pont Neuf, après-midi

1901 Le Pont Neuf, naufrage de la Bonne Mère

1902 Le Pont Neuf

1902 Le Pont Neuf

1902 Le Pont Neuf

1902 Le Pont Neuf, effet de neige


De 1878 à 1883, Camille Pissarro habite au 18 rue des Trois-Frères à Montmartre. Bientôt il quitte Paris. Grâce à l’aide financière de Monet, il achète, en 1884, une bicoque et s’établit à Eragny dans l’Oise. Le peintre vit en autonomie avec sa femme et ses huit enfants. Ses tableaux traduisent une douceur de vivre particulière. De 1884 à 1886, il suit Paul Signac et Georges Seurat dans leurs expérimentations divisionnistes et pointillistes. Mais la technique trop lente, et la réalisation en atelier ne satisfont pas l’artiste qui abandonne cette technique.

A partir de 1890, Camille Pissarro connaît enfin une reconnaissance tardive. Cette nouvelle notoriété marque la fin des difficultés financières. Mais en 1891, sa vue baisse affectée par une maladie, la dacryocystite. Ses yeux larmoient en permanence et la sensibilité accrue voire exagérée à la lumière rend plus difficile le travail en plein air. Pissarro se rapproche de la ville. Il passe ses hivers à Paris. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’attache aux panoramas parisiens. L’artiste formule un programme ambitieux de séries sur le thème des motifs urbains. Il cherche à peindre la modernité. Contraint de peindre depuis les intérieurs en contre-plongée, Pissarro invente un nouveau procédé. Rigueur des compositions, construction de l’espace, lignes verticales et horizontales, il restitue aux formes leur plénitude.  


1900 Pont Neuf, statue d'Henri IV, matin, soleil

1901 Terrasse du Pont Neuf, statue d'Henri IV

1901 La Terrasse du Pont Neuf et Statue d'Henri IV

1901 Le Louvre, matin brumeux 

1901 Le Pont Neuf et la statue d'Henri IV

1901 Le Pont Neuf et la statue d'Henri IV, effet de brouillard

1902 La terrasse du Pont Neuf place Henri IV, après midi, pluie 


Boulevard Montmartre, avenue Saint Honoré, il traduit plastiquement l’activité débordante des nouvelles voies monumentales d’une ville somptuaire imaginée par Haussmann. Les tableaux de Pissarro donnent à ressentir le fourmillement des passants, les piétons cavalant en foule compacte sur les trottoirs, l’intensité de la circulation, calèches et fiacres lancés à fond de train. Il porte une grande attention au mouvement et rend sensible cette hyper-activité. Les couleurs posées par petites touches vibrantes retranscrivent des effets atmosphériques, les reflets de la lumière sur les façades haussmanniennes et les toits de zinc.


1900 Le Louvre après-midi, temps de pluie

1900 Le Louvre matin d'hiver, effet de soleil

1901 Le Louvre

1901 Le Louvre

1901 Le Louvre, matin d'hiver

1901 Le Louvre, matin, soleil

1901 Vue de la Seine depuis la terrasse du Pont Neuf 

1902 La Seine vue depuis le Pont Neuf, hiver

1902 Le Louvre, après-midi 

1902 Le Louvre, après-midi, temps gris

1902 Le Louvre

1902 Le Louvre et la Seine depuis le Pont Neuf

1902 Le Louvre et la Seine depuis la terrasse du Pont Neuf

1903 La Seine et le Louvre

1903 Le Louvre, mars, effet de brume

1903 Le Louvre, matin

1903 Le Louvre, matin, effet de neige


Les séries réalisées entre 1897 et 1899 proposent des variations sur un même thème. Les toiles sont exécutées à la fenêtre de ses différents domiciles, de chambres d’hôtel choisies pour leur vue particulière. En 1898, Pissarro peint à de nombreuses reprises la place Colette / place du Théâtre Français, notre actuelle place Colette, depuis un balcon du grand Hôtel du Louvre. 

Dans sa correspondance, il se réjouit : « J’oublie de t’annoncer que j’ai trouvé une chambre au Grand Hôtel du Louvre avec une vue superbe de l’Avenue de l’Opéra et du coin de la Place du Palais-Royal ! C’est très beau à faire ! Ce n’est peut-être pas très esthétique, mais je suis enchanté de pouvoir essayer de faire ces rues de Paris que l’on a l’habitude de dire laides, mais qui sont si argentées, si lumineuses et si vivantes. C’est tout différent des boulevards. C’est moderne en plein ! » (Lettre du 15 décembre 1897, Pissarro).


1903 Le Louvre depuis le quai Malaquais, matin, soleil

1903 Le Pont du Carrousel, après-midi 

1903 Le quai Malaquais, matin, soleil

1902 Le Pont Royal, après-midi, printemps, temps gris 


1903 Le Pont Royal et la Seine

1902 Le Pavillon de Flore et le Pont Royal

1903 Le Pont Royal et le Pavillon de Flore

1903 Le Pavillon de Flore et le Pont Royal


En 1899, il déménage au 204 rue de Rivoli et entame une nouvelle suite dédiée au Pont Neuf, réalisée depuis la fenêtre d’un appartement loué place Dauphine. Il travaille sur 14 représentations différentes du pont rendant compte de l’énergie, de la vitalité de cette ville moderne. Le peintre, extérieur à cette animation, garde une position en retrait, éloignée du sujet. Témoin du monde sensible, passeur d’images.

Pissarro à Paris 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


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