Lundi Librairie : La femme aux fleurs de papier - Donato Carrisi



En avril 1916, alors que la guerre fait rage, les troupes austro-hongroises tentent de repousser la progression de l’armée italienne dans les Dolomites. Au pied du Mont Fumo, les Autrichiens parviennent à capturer une patrouille de cinq soldats italiens. Leur sort est scellé, ils seront fusillés au matin. Mais l’un d’eux, traité différemment par ses camarades, serait peut-être un officier. Il ne porte pourtant aucun signe distinctif. Selon son grade, cet homme pourrait devenir une monnaie d’échange contre des prisonniers retenus par les troupes adverses. Le docteur Jacob Roumann, est chargé d’interroger le mystérieux soldat afin de découvrir son identité. Ce médecin désabusé pense en acceptant cette mission cruelle parvenir enfin à sauver des vies au cœur de cette boucherie de la Grande Guerre. Au cours de cette longue nuit, l’homme va lui raconte la singulière histoire de Guzman, conteur émérite, excentrique qui a pris la décision de ne vivre chaque chose qu’une seule fois dans toute sa vie afin de ne pas déflorer la poésie de l’existence. Et question lancinante, qui était cet inconnu au cigare sur le pont du Titanic en train de sombrer ?

Donato Carrisi, maître du roman noir, s’éloigne de son registre de prédilection pour flirter avec le réalisme magique d’une fable pour adultes. Il emprunte néanmoins à la catégorie thriller un sens aigu du suspense tenant en haleine son lecteur jusqu’à la fin. Mécanique de précision, la structure narrative de ce récit à tiroirs, faux huis clos bien tenu, enchevêtre les destins et les histoires afin d’en souligner les similitudes. L’auteur adapte certains codes du polar conférant un relief particulier à l’imbrication de ses matriochkas romanesques.

Malgré le style un peu faible, il parvient par cette maîtrise évidente de la construction à produire une incarnation convaincante de ces histoires multiples. « La femme aux fleurs de papier » explore le motif du récit, source de voyages immobiles, de libération, d’échappatoire à l’horreur du réel, fut-il même celui des tranchées. Dans cette ode aux conteurs, à la fascination qu’ils exercent grâce au pouvoir des mots sur des auditoires entiers, Donato Carrisi rend hommage à cette capacité que développe celui qui raconte à extraire celui qui écoute de la réalité.

Ce texte bref, à peine deux-cents pages, entraîne le lecteur dans de riches aventures mouvementées. Les personnages mènent des existences hors norme. Frappés par la cruauté de la condition humaine, ces destins croisés sont emportés par les rêveries oniriques de l’auteur qui s’amuse à distiller les énigmes avec art. Evocation douloureuse de la guerre, omniprésence de la mort qui rôde, histoires d’amour poétiques et terribles, violence des sentiments, mystères insolubles et coïncidences improbables, nourrissent une réflexion existentielle sur la douleur d’être au monde, la profonde mélancolie de la vie.

La femme aux fleurs de papier - Donato Carrisi - Traduction Anaïs Bokobza - Editions Calmann-Lévy - Edition de poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.