Expo : Otto Freundlich (1878-1943), la révélation de l'abstraction - Musée de Montmartre - Jusqu'au 6 septembre 2020



Le Musée de Montmartre rend hommage à l’artiste Otto Freundlich (1878-1943), pionnier de l’abstraction, précurseur dans la théorisation et la conception d’un art moderne non-figuratif. Le parcours réunit près de 80 œuvres, de ses premières toiles figuratives encore marquées par l’expressionnisme allemand jusqu’à ses grands formats colorés à la géométrie résolument abstraite. Peintures, sculptures, gravures, œuvres graphiques, vitraux, mosaïques complétés par un ensemble inédit de documents et de lettres, illustrent le travail d’un visionnaire. La diversité de la création soutenue par une réflexion esthétique évoque puissamment la démarche syncrétique d’Otto Freundlich. A travers ses œuvres, il obtient une synthèse des arts, de la philosophie et de la politique. Considéré au même titre que Kandinsky et Kupka comme l’un des fondateurs de l’abstraction et du constructivisme, Otto Freundlich est néanmoins moins connu du fait d’un corpus réduit, de nombreuses oeuvres ayant été détruites par les Nazis. Artiste humaniste engagé dont le destin tragique est intimement lié aux tourments de l’histoire du XXème siècle, son travail confronte l’esthétique à l’idéologie. 











La peinture d’Otto Freundlich empreinte d’un symbolisme lyrique à ses débuts se fait de plus en plus abstraite au fil de son évolution stylistique influencée par les échanges avec les principaux acteurs de l’avant-garde de son pays natal l’Allemagne ou de celui d’adoption la France. S’il manifeste une relative indifférence vis à vis du cubisme, il se montre sensible au dynamisme chromatique de l’orphisme de Robert Delaunay, aux constructions architecturales par strates des œuvres de Cézanne. La sculpture d’Otto Freundlich ouvre très tôt des dialogues entre figuration et abstraction. Ses réalisations aux accents primitifs, bustes et têtes inspirées par la géométrie de la statuaire africaine, se rapprochent plus tard de formes organiques aux courbes abstraites. 

Né en 1878 en Poméranie Occidentale alors région de l’Empire allemand, dans une famille d’origine juive convertie au protestantisme, Otto Freundlich ne suit pas tout de suite sa vocation artistique. Après une formation commerciale, il débute des études de dentiste qu’il abandonne pour se consacrer enfin à la littérature et à l’art. Il part à Florence en 1906 où il réalise ses premières sculptures. En 1908, lors d’un bref séjour en France déterminant pour sa production, il découvre l’avant-garde parisienne. Il organise rapidement un deuxième séjour en 1909. Il vit à Montmartre et loue un atelier au Bateau-Lavoir où il a pour voisin Pablo Picasso. Il fait la connaissance de Georges Braque, Juan Gris, André Salmon, Guillaume Apollinaire, Robert Delaunay, Constantin Brancusi, Amadeo Modigliani. Il poursuit ses aller-retours entre l’Allemagne et la France mais s’installe de 1910 à 1914 dans une colonie d’artistes à Fleury-en-Bière près de Fontainebleau. Ottof Freundlich y réalise ses premières œuvres non figuratives dont la sculpture intitulée "Grosse Tête" qui deviendra tristement célèbre en faisant en 1937 la couverture du catalogue de l’exposition "Das Entarte Kunst", montée à Munich par les Nazis.











En 1914, à la veille de la Première Guerre Mondiale, Otto Freundlich participe à l’atelier de restauration des vitraux de la tour Nord de la cathédrale de Chartres. Cette expérience fondatrice donne naissance à une esthétique, une nouvelle conception de l’art axée sur la couleur. Il développe un intérêt pour les arts décoratifs caractérisés par la fragmentation, évocation selon lui du principe créatif fondamental de la déconstruction. La palette chromatique travaillée en prisme s’incarne dans un langage formel basé sur un système de triangles et de quadrilatères. 

Durant la Première Guerre Mondial, Otto Freundlich retourne en Allemagne. Au lendemain du conflit en 1918 avec la naissance de la République de Weimar, il se montre très actif dans les Conseils des Travailleurs pour l’art. A Berlin, il joue rôle important dans l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes, la Neue Sezession, la Nouvelle Sécession. Otto Freundlich fait figure d’intercesseur entre les avant-gardes allemandes et françaises. Il s’implique dans des comités et des revues artistiques liées au dadaïsme et à l’expressionnisme. En novembre 1919, il participe avec Marx Ernst à la première exposition Dada à Cologne. 










A cette époque, Otto Freundlich manifeste un intérêt pour la gouache et la mosaïque, des techniques de juxtaposition des couleurs. Il cherche à créer des ensembles harmoniques homogènes qui seraient l’illustration plastique d’une société idéale "dans laquelle la nature et les hommes seraient réconciliés, comme les hommes entre eux". Il met au point un système de création très théorisé à la fois sur le plan esthétique et idéologique. 

Orchestrant avec science une gamme de couleur selon un ensemble de cellules géométriques, il exploite la densité des couleurs jaune, rouge, vert, bleu, noir déclinées du plus clair ou plus foncé dans un mouvement ascensionnel dynamique. Les ensembles chromatiques, dispositif abstrait d’aplats de couleurs, méditation autour de la lumière, s’imbriquent en formes souples et précises. Les compositions de droites, de courbes et de contre-courbes s’agencent selon un rythme réfléchi évident. L’oeuvre d’Otto Freundlich nourrit de considérations spirituelles et politiques s’exprime dans une variété des techniques peinture, pastel, gravure, sculpture, mosaïque, vitrail. Son travail se distingue de l’art géométrique par les nuances expressionnistes qui se retrouvent particulièrement dans ses encres et gravures en noir et blanc. 










En 1922, Otto Freundlich crée une association, Die Kommune. Avec la montée des extrêmes droites, il est victime de la stigmatisation des avant-gardes artistiques et des persécutions antisémites. Il s’exile en France en 1924. A Paris, il participe au Salon des indépendants. Proche des cercles avant-gardistes, il expose avec Cercle et Carré en 1930 et avec le mouvement Abstraction Création en 1931. 

Durant toute cette période, il poursuit son action politique. En 1933, il adhère à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. En 1935, il préside le Collectif des artistes allemands antifascistes. Ce militantisme trouve un écho dans sa démarche plastique. Otto Freundlich s’investit dans un art au propos utopique. Il imagine des tableaux symboles d’universalité où les frontières entre les hommes sont supprimées. "Mon ciel est rouge", toile de 1933, reflète un engagement politique fort. A travers ses œuvres, il apporte son soutien aux peuples opprimés et évoque en filigrane sa propre situation. En 1935, Hommage aux peuples de couleur évoque la possibilité d’une communion de l’humanité. 











De nombreuses œuvres sont saisies dans les musées allemands par les Nazis et seront détruites. En 1937, sa sculpture Grosse Tête rebaptisée L’Homme nouveau à cette occasion fait la couverture du catalogue de l’exposition "Das Entarte Kunst". Otto Freundlich devient un symbole de "l’art dégénéré". Au début de la Seconde Guerre Mondiale, en septembre 1939, alors que sa demande de naturalisation auprès des autorités françaises a été rejetée, Otto Freundlich est interné comme "ressortissant de pays ennemi". Relâché en 1940, il se réfugie en Zone libre près de Perpignan. Lorsqu’en 1943, la région est occupée par la Wehrmacht, il est dénoncé. Arrêté le 23 février 1943, Otto Freundlich est déporté en Pologne où il est assassiné au camp d’extermination de Sobibor le 9 mars 1943. 

Otto Freundlich (1878-1943) La révélation de l’abstraction 
Jusqu’au 6 septembre 2020

Musée de Montmartre - Jardins Renoir
12 rue Cortot - Paris 18
Tél : 01 49 25 89 39
Horaires : Ouvert tous les jours de 10h à 19h d'avril à septembre - de 10h à 18h d'octobre à mars - Nocturne jusqu'à 22h tous les jeudis de juillet et août



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.