Cinéma : Des hommes, un documentaire de Alice Odiot et Jean-Robert Viallet



En 2012, le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce les conditions inhumaines d’incarcération à la prison des Baumette à Marseille. La France régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour la violation des droits fondamentaux des détenus, la surpopulation, le délabrement, le manque d’hygiène. A la suite de cette alerte, Alice Odiot et Jean-Robert Viallet, journalistes marseillais, prix Albert Londres, décident de réaliser un documentaire au sein même de ce lieu emblématique. Ils remplissent une demande d’autorisation de tournage en 2013 qu’ils obtiennent en 2016. Après une longue préparation sur le terrain, de nombreuses visites aux Baumettes pour rencontrer les détenus, une quinzaine acceptent de témoigner de leur quotidien devant la caméra. Durant 25 jours, en immersion, au plus près de ces hommes mais aussi du personnel carcéral, Alice Odiot et Jean-Robert Viallat témoignent dans un film édifiant de la désolation de la situation. Les Baumettes historiques, 30 000m2, deux mille détenus, la moitié ayant moins de trente ans, établissement pénitentiaire fermé depuis, a fait place aujourd’hui à un nouveau centre de détention moderne.







Atmosphères crépusculaires, pénombre et crasse, le décor est planté, suffocant, anxiogène. Refusant le spectaculaire, Alice Odiot et Jean-Robert Viallat prennent le parti de la sobriété sans effet de mise en scène. Afin de saisir des instantanés de vie, le quotidien en cellule, ils parviennent à faire oublier la caméra aux hommes qu’ils filment mais également au spectateur qui plonge dans la réalité de cet univers âpre. Les témoignages, détenus comme professionnels qui travaillent dans ce cadre impressionnant, les surveillants, les travailleurs sociaux, la directrice, ouvrent les portes de l’univers carcéral pour mieux en décrypter les codes et sonder la réalité. 

A Marseille, la prison des Baumettes semble être devenu un cadre comme un autre pour une jeunesse en déshérence. Le récit écrit, efficace, implacable ne cherche pas à édulcorer la situation, véritable radiographie, sans filtre et sans jugement. Les motifs incontournables de la brutalité virile, la violence, le trafic de drogue ne font pas oublier le désespoir des corps emprisonnés, encagés, l’ennui, les addictions, la folie et l’humanité partout, la débrouille. La violence omniprésente, le manque d’horizon, la promiscuité physique et la solitude morale engendrent une détresse terrible 




La grande jeunesse des détenus, leur immaturité sont saisissantes. Les vies décomposées évoquent avec force la violence du déterminisme social et la déshumanisation qu’engendrent les conditions d’incarcération. La prison change les hommes. Elle semble les condamner d’avance à la récidive tant le système de réinsertion est en échec. Film âpre, concentré d’humanité qui donne à voir la réalité du système carcéral, "Des hommes" est un miroir tendu à nos sociétés.

Des hommes, un documentaire de Alice Odiot et Jean-Robert Viallet
Sortie le 19 février 2020



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.