Cinéma : Système K, un documentaire de Renaud Barret



Sixième documentaire du réalisateur français Renaud Barret, cinquième dédié à la ville de Kinshasa et aux cultures urbaines, le tournage de Système K en République démocratique du Congo s’est étendu sur une période de 5 ans, au plus fort de la crise électorale liée à la fin du mandat de Joseph Kabila. Le système K comme Kinshasa incarne l’art de la récupération pratiqué par les populations locales à défaut d’avoir les moyens d’acheter des produits manufacturés. Piochant dans les agrégats de déchets électroniques qui s’entassent dans des décharges à ciel ouvert, rebuts de la société de consommation occidentale, les artistes recycle des objets incongrus pour créer des œuvres. L’effervescence de la scène des arts visuels s’exprime directement dans les rues bondées devenues espaces de création.






Le réalisateur capte les images saisissantes des performances sauvages à travers un mégalopole complexe, elle-même personnage essentiel du film. Renaud Barret nous plonge en immersion dans une ville complexe qui oscille entre modernité et extrême précarité, conservatisme et progressisme. Les plans aériens des faubourgs filmés par drones intensifient la sensation de fourmillement, d’énergie exponentielle. Le réalisateur nous entraîne dans un périple onirique à la suite de ces créateurs qui distillent par leur art de l’intervention un propos très articulé sous une apparence d’improvisation. Les artistes dénoncent le pillage organisé des ressources du pays, les révoltes réprimées dans le sang, s’inquiètent les conflits fratricides, tentent de penser les stigmates de la guerre civile. 

Construit en kaléidoscope, le documentaire se difracte en une narration fragmentée. Chaque chapitre est dédié à l’un des personnages rencontrés. Guide et commentateur de cette déambulation, Freddy Tsimba, figure majeure de la scène artistique kinoise présente de nombreux protagonistes comme Béni Baras, orphelin métis, autodidacte, squatteur vivant aux Beaux-Arts sans y être inscrit. Un diable cornu presque nu danse frénétique, transe magnétique. L’occultisme imprègne profondément la démarche de ces créateurs ambulants. L’émotion, la réflexion s’incarne dans une expérience à la dimension mystique. Des fétiches à taille humaine croisent un homme en combinaison d’astronaute bricolée, assemblage de bric et de broc. Un autre baigne dans le sang, étrange rituel. Une femme noircit des toiles à la bougie. Sont-ils artistes, sont-ils fous ?





Alors que chaos politique et social du pays met en péril la survie même des habitants, les Congolais manifestent leur désir de démocratie, une volonté d’émancipation freinée par un pouvoir autoritaire. Dans le plus grand dénuement, la création radicale des artistes de rue participe d’un élan émancipateur. 

Les interventions impromptues au cœur du quotidien, performances artistiques propulsées sans filtre dans la ville en mouvement entre en décalage avec l’ordinaire de la journée. Ils apostrophent la foule, dansent, chantent, jouent de la musique. Se faisant, ils réinventent le monde, se réapproprient une identité, une voix qui exprime leur colère et revendique une forme de reconnaissance. La bande originale du film imaginée par le collectif KOKOKO qui conçoit ses propres instruments à partir d’éléments recyclés illustre cette voix des artistes kinois. 




Manifeste de l’urgence, vibration profonde, plasticiens, performeurs, danseurs créent pour dénoncer, pour transcender le désespoir. La situation difficile de la ville devient le terreau même de la création. Le documentaire porte sa réflexion sur le rôle de l’artiste dont l’engagement devient une nécessité vitale. Les performances sont souvent violemment interrompues par l’intervention des forces de l’ordre. Il s’agit pour ces créateurs de s’imposer malgré la répression des autorités et les difficultés personnelles. Certains artistes sont contraints à l’exil temporaire, les ateliers sont mis à sac. 

Modestie des moyens, richesse de la matière, justesse du regard Renaud Barret retranscrit à l’écran la substance de la ville, son énergie, l’intensité des créateurs, le destin social fracturé d’un pays hanté par la guerre civile. L’art des rues incarné reflète le bouillonnement de la scène artistique dans sa densité déconcertante, sa force brute.

Système K, documentaire de Renaud Barret
Sortie le 15 janvier 2020



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.