Cinéma : J'ai perdu mon corps, de Jérémy Clapin - Avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Patrick d'Assumçao



Une main coupée s’échappe d’un laboratoire et s’enfuit à travers un Paris lugubre en quête du corps auquel elle appartient. Livrée à elle-même, sa terrible cavale l’entraîne sur des chemins semés d’embûches, de prédateurs incongrus. Des fragments de souvenirs, ceux d’un autre temps, alors qu’elle faisait partie d’un tout, lui reviennent. A l’autre bout de la ville, Naoufel, jeune Marocain déraciné, a été recueilli par un oncle acariâtre au décès de ses parents. Il rêvait de devenir pianiste, astronaute, il s’est fait livreur de pizzas pour subvenir à ses besoins. Le deuil impossible rend encore plus douloureuse cette vie sans perspective d’avenir, privée d’espoir. Gagné par la frustration, peu à peu Naoufel se laisse gagner par l’immobilisme. Jusqu’au jour, où il fait la connaissance de Gabrielle, une bibliothécaire, lors d’une livraison. Cette rencontre va réveiller chez le jeune homme une volonté farouche de s’en sortir, celle de reprendre son destin en main. En découvrant l’amour, il se trouve lui-même ainsi que ses rêves d’indépendance et de liberté.







Premier long métrage de Jérémy Clapin, ce conte animé destiné aux adultes est une adaptation sur grand écran du roman Happy Hand de Guillaume Laurant, scénariste attitré de Jean-Pierre Jeunet. Le thème singulier d’une main coupée à la recherche du corps auquel elle a été arrachée, motif classique du genre horrifique prend la forme d’une métaphore qui renvoie à la quête d’identité. Ode à la sensorialité, le toucher, l’ouïe, le goût, le regard, cette histoire émouvante de résilience mêle aventure, romance et pureté des souvenirs d’enfance qui lui confèrent une portée universelle. Si le film nous raconte l’émancipation d’un jeune homme, orphelin amoureux malmené par la vie, sa découverte de l’adulte en lui, Jérémy Clapin choisit de faire de la main, la véritable héroïne de ce film d’animation. Avec virtuosité, il parvient à susciter l’attachement et l’empathie envers ce membre vagabond. 

La beauté plastique évidente du film doit beaucoup à la modernité du dessin et à l’élégance des compositions. Le naturalisme d’un graphisme épuré se teinte d’un surréalisme onirique dans les images racontant le parcours de la main. Le trait est précis et les couleurs naturelles donnent des accents très réels aux décors. La fluidité de l’animation 3D se complètent de quelques scènes en 2D entre simplicité et précision. Les atmosphères poétiques sont soulignées par l’enveloppe bande son dont la musique est signée Dan Levy. La mise en scène particulièrement soignée se singularise par son inventivité, ses audaces formelles. 




Le réalisateur parvient à rendre parfaitement lisible un récit complexe grâce à la limpidité de la narration. Jérémy Clapin aborde les différents épisodes de l’histoire en harmonisant des variations temporelles nettement définies par les ambiances et les palettes chromatiques. La prime jeunesse de Naoufel en noir et blanc met en lumière le paradis perdu du Maroc et de l’enfance. Le parcours de la main à travers une ville hostile témoigne d’un Paris sinistre, univers angoissant de la solitude, de la grande brutalité de l’existence. L’histoire d’amour naissante entre Gabrielle et Naoufel contraste par les instants de tendresse qui se nouent entre les personnages. 

Ce film d’une grande sensibilité, d’une poésie rare, porte un regard lucide sur notre société, le déchirement culturel des expatriés, la difficulté de la quête de sens et d’identité.

J’ai perdu mon corps, de Jérémy Clapin 
Avec les voix de Hakim Faris, Victoire Du Bois, Patrick d'Assumçao
Sortie le 6 novembre 2019



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.