La Joconde nue ou Monna Vanna, énigmatique carton acquis en 1862 comme un original de Léonard de Vinci pour la somme extravagante à l’époque de 7000 francs, est l’un des trésors de la collection du duc d’Aumale. Depuis des siècles, mystère pour les experts, elle soulève de nombreuses interrogations au sujet son authenticité, de sa datation, de son auteur ou encore de son modèle. A l’occasion du 500ème anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, le Musée Condé présente une exposition inédite dont elle est le coeur troublant. L’évènement retrace l’enquête scientifique menée en 2017 par le Centre de recherche et de restauration des Musées de France (le C2RMF) mais prend aussi le parti de souligner par le biais de nombreuses oeuvres, l’importance de ce carton dans l’histoire de l’art. Les copies attribuées à Salaï, le portrait de Joos van Cleve, La Dame au bain de François Clouet ou encore le célèbre et pourtant anonyme portrait au bain, présumé de Gabrielle d'Estrées et une de ses sœurs, la duchesse de Villars, illustrent l’idée d’une Joconde nue, source majeure d’inspiration à travers les siècles.
Conservée au Musée Condé du domaine de Chantilly, La Joconde nue, dessin au charbon de bois avec rehauts de blanc, s'inscrit dans la lignée d'une représentation classique de la beauté idéalisée, fruit des considérations esthétiques néoplatoniciennes. Cette figure féminine apparaît pourtant singulièrement androgyne, silhouette robuste, bras athlétique, larges mains, visage évoquant celui du Saint Jean Baptiste, tableau du maître pour lequel avait posé Salaï, son disciple favori. Si le demi-sourire du modèle et la pose des bras évoquent la célèbre Mona Lisa, il ne s’agit néanmoins pas d’un portrait érotisé de la Florentine Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo.
Afin d’éclairer sous un angle nouveau l’énigme irrésolue de La Joconde nue, l’exposition qui se tient au musée Condé jusqu’au 6 octobre relate l’ensemble des études scientifiques et la quête d’indices historiques pouvant lever les doutes au sujet de ce dessin. Menées par le C2RMF, les analyses du carton, deux feuilles encollées, d’un papier lui-même marqué d’un filigrane et percé de petits trous suivant les contours, ont confirmé l’hypothèse d’une oeuvre issue de l’atelier de Léonard de Vinci. Une authenticité révélée de nos jours grâce aux nouvelles technologies mais qui a été très largement contestée au XXème siècle.
Si la technique typique du sfumato employée par Léonard de Vinci semble révélatrice, divers indicateurs sèment alors le doute après des plus grands spécialistes : le modèle louche, les contours sont trop marqués, le fond est patiné d’une étrange couche verdâtre. La Joconde nue va longtemps être considérée comme une copie tardive du XVIIIème au XIXème siècle. Les récentes observations rendues possibles grâce à la science mettent en lumière l’idée d’une oeuvre très modifiée au fil du temps, ce qui aura entraîné les experts sur des fausses pistes.
Au laboratoire du C2RMF, La Joconde nue a subi nombres d’examens minutieux, photographie en lumière directe, en infrarouge, sous fluorescence d’ultraviolets, en réflectographie infrarouge. Après examen des différents éléments, afin notamment de tenter une datation précise, la technologie a validé la théorie d’une oeuvre issue de l’atelier du maître. Les indices porteurs de doute sur l’authenticité du dessin s’expliquent par les retouches que l’oeuvre originale a subi. Selon les résultats des analyses, différents artistes sont intervenus pour restaurer le carton, au moins à deux ou trois reprises. Un premier traitement au pinceau et pigment noir a accentué les contours de la figure, la chevelure, le bras gauche ainsi que les yeux du modèle d’où l’impression d’une coquetterie dans le regard. Par la suite, la composition a été reprise par des hachures au matériau gras noir probablement pour camoufler les défauts d’un fond irrégulier endommagé par le temps. Et finalement, l’arrière-plan a été recouvert d’une couche verdâtre dans le but de faire ressortir la silhouette.
Les techniques employées, caractéristiques de la Renaissance italienne, deviennent autant d’indices historiques de l’authenticité de La Joconde nue. Les deux feuilles encollées employées sont parcouru par un filigrane spécifique. A la fin du XVème siècle, début du XVIème, les artisans du papier marquaient ainsi leur production. Le charbon de bois utilisé pour réaliser les dessins préparatoires de la composition, tracer les contours originaux de l’oeuvre, travailler l’estompage ainsi que les lumières finales reprises avec des pigments à base de plomb sont également typiques de la période.
Les nombreux changements de la composition rendus perceptibles grâce aux infrarouges écartent l’hypothèse d’une copie, relevant les hésitations et l’évolution progressive de l’ensemble. Les hachures de haut à gauche vers le bas à droite, hachures de gaucher, semblent désigner comme auteur de l’oeuvre, Léonard de Vinci, qui ambidextre, dessinait exclusivement de la main gauche. Cependant, cet indice n’est pas suffisant car Francesco Melzi, élève de l’atelier, travaillait également de cette main.
La Joconde nue a marqué l’histoire de l’art. Copiée dès sa création par les disciples de Léonard, elle l’a été également tout au cours du XVIème siècle par des artistes milanais. Un exemplaire célèbre conservé à Vinci est par ailleurs attribué à l’entourage du maître. En France, l’art de la Renaissance porte durablement l’empreinte de ce dessin intrigant et l’exposition du musée Condé présente une trentaine d’œuvres inspirées plus ou moins directement par cette mystérieuse icône.
La Joconde nue, le mystère dévoilé
Jusqu’au 6 octobre 2019
Musée Condé
Domaine de Chantilly
60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80
60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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