Cinéma : Amazing Grace - Aretha Franklin, un documentaire d'Alan Elliott et Sydney Pollack



Les 13 et 14 janvier 1972, Aretha Franklin, 29 ans, enregistre un album live, avec le concours du Southern California Choir dans la modeste paroisse du quartier de Watts à Los Angeles auprès de la communauté du New Temple Missionary Baptist Church. La reine de la soul fait un retour aux sources en renouant avec le gospel qui lui a tout appris. Le révérend James Cleveland, maître de cérémonie, mène ce qui n’est pas tout à fait un service, pas exactement un concert non plus, tandis que les chants sont soumis aux aléas de l’enregistrement aux commandes desquels se trouvent les ingénieurs du son et Jerry Wexler, le producteur, qui se trouve dans un camion d’enregistrement mobile garé devant l’église. De cette expérience unique naîtra un double album mythique, Amazing Grace, disque de gospel le plus vendu au monde à ce jour.






Trois ans après le succès du concert filmé de Woodstock, les studios de la Warner, propriétaires du label d’Aretha Franklin Atlantic Records, confient au jeune cinéaste Sydney Pollack le soin de capter les deux soirées. Cinq caméras 16mm, plusieurs micros, l’équipe a les moyens de ses ambitions mais inexpérimentée commet une erreur technique lors du tournage. Le son et l’image sont désynchronisés. Les vingt heures de rush inutilisable. Le film est oublié. 

Au début des années 1990, Alan Elliott producteur fraîchement embauché chez Atlantic Records est fasciné par ce documentaire. Il tente de le monter malgré la désynchronisation mais le problème technique est insurmontable. Il lui faut attendre 2007 et les nouvelles technologies de numérisation pour enfin être en mesure de caler les voix et les images. Alan Elliott hypothèque sa maison pour racheter les bandes à la Warner et travaille sur le film pendant 4 ans. Mais à la veille de la sortie en salle, Aretha Franklin s’y oppose. En 2015, le documentaire est programmé aux festivals de Telluride et Toronto. Les avocats d’Aretha Franklin interviennent à nouveau pour faire annuler les projections. En août 2018, au décès de la diva, Sabrina Owens sa nièce et héritière autorise enfin la diffusion du documentaire. 






Il aura fallu près de cinquante ans, pour que le film soit enfin visible. Entièrement remastérisées, synchronisées, ces images inédites, montées en un documentaire exceptionnel sans commentaire ni artifice, saisissent la ferveur particulière du moment, l’émotion. A l’écran, la dimension technique du film-concert apparaît nettement avec les câbles, les micros dans le champ. Mais très vite, dès qu’Aretha Franklin se met à chanter, on n’y prête plus attention. Au rituel liturgique, recueillement de l’office religieux s'ajoute la magie de l’instant saisi brut, moment de perfection bouleversant, la grâce d’une voix merveilleuse. La technologie de transfert numérique n’a pas déshumanisé le film qui trouve une expressivité particulière dans le grain de l’image et la vérité du son analogique.




A la gravité, l’intensité d’Aretha Franklin tout à l’émotion de sa performance vocale se mêlent les réactions spontanées du public. Dans l’assemblée, Mick Jagger et Charlie Watts des Rolling Stones, Clara Ward légende du gospel, le père d’Aretha Franklin le révérend CL Franklin. Et puis tous les anonymes, vibrant ensemble. Ce documentaire témoigne du pouvoir du gospel dans la communauté, essence de leur culture, force d’émancipation de la musique, puissance créatrice, foi et résilience. Un très beau film.

Amazing Grace - Aretha Franklin
Un documentaire de Sydney Pollack et Alan Elliott



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.