Lundi Librairie : L'analphabète qui savait compter - Jonas Jonasson



L'analphabète qui savait compter - Jonas Jonasson : Née dans les années 1960, au cœur de Soweto, le plus grand ghetto de Johannesburg, l’un des Townships les plus peuplés et les plus pauvres d’Afrique du Sud, Nombeko Mayeki travaille dès l’âge de cinq ans à la vidange des latrines communes. Orpheline à dix ans, la fillette, analphabète mais d’une remarquable intelligence, parvient grâce à son talent avec les chiffres à devenir à quatorze, cheffe des videurs de latrines. Elle croise alors le chemin d’un affreux libidineux qu’elle calme d’un bon coup de ciseaux mais qui lui apprend à lire. La chance semble lui sourire. Nombeko hérite fortuitement d’une fortune en diamants bruts mais se fait renverser par la voiture d’un ingénieur alcoolique. La justice sud-africaine raciste de l’apartheid condamne la victime à travailler pour le bourreau. Enfermée dans un complexe ultra-sécurisé, Nombeko se retrouve alors femme de ménage pour un crétin pourtant en charge du programme nucléaire national. Se plongeant dans la bibliothèque de la base, Nombeko devient en autodidacte ingénieure spécialiste de l’atome. Et un atout indispensable pour le responsable incompétent du programme. Dans le même temps, en Suède, un postier monarchiste convaincu vire du jour au lendemain républicain anti-souverainiste enragé tandis que son épouse donne naissance à des jumeaux dont l’un n’a pas d’existence légale. 

Epopée burlesque truffée de rebondissements dantesques et de coups de théâtre ubuesques, L’analphabète qui savait compter sous ses airs de fable potache à l’imaginaire baroque se révèle conte moral pourfendeur de préjugés, leçon d’humanité. Ce récit rocambolesque revisite une tranche d’Histoire et dynamite avec bonne humeur les pires penchants d’un monde en déshérence. Jonas Jonasson n’hésite pas à plonger sa plume dans l’absurde, l’invraisemblance. Il abuse de façon irrésistible des hasards loufoques, des incongruités. Les coïncidences se manifestent à rythme effréné. Son sens du récit doit beaucoup à un art patenté du comique de situation porté par une galerie de personnages gentiment barrés voire complètement allumés.

Roublards idiots, brillants hurluberlus, affreux imbéciles et vrais purs se partagent la vedette. Trois Chinoises se font faussaires expertes en poteries Tang. Une paire d’agents du Mossad refusent de renoncer à leur poursuite d’une bombe nucléaire. Des jumeaux aussi similaires physiquement que différents intellectuellement tentent tant bien que mal de partager une même identité. Une jeune anarchiste en colère croise un roi suédois passionné de mécaniques et sachant tordre le cou des poules. Et puis il y a surtout une héroïne formidable, Nombeko, née femme et noire dans un monde raciste et sexiste, indifférent à son sort, qui ne devra qu’à ses seules ressources d’intelligence de parvenir à se sortir toutes les situations.

La narration volontiers cocasse est cependant tissée sur une base réaliste, à commencer par la terrible réalité des Townships sud-africains. Le roman se déploie sur un fond géopolitique très tangible, celui de la seconde moitié du XXème siècle. Ce qui permet au lecteur de réviser ses cours d’histoire, et de découvrir ou redécouvrir que durant l’apartheid, Israël était en relations étroites avec l’Afrique du Sud dirigée par des anciens nazis ou qu’en 2008 Nelson Mandela figurait toujours sur la liste américaine des terroristes internationaux.

La course à l’arme nucléaire durant la Guerre Froide, les guerres d’indépendance en Afrique, le régime raciste de l’apartheid sud-africain, le système constitutionnel suédois, en sous-texte Jonas Jonasson dessine un commentaire historique pertinent. Le divertissement du page-turner, l’art jubilatoire du détournement pratiqué par l’auteur permet de dénoncer avec finesse l’absurdité du monde, les injustices criantes des sociétés, la folie de l’homme. Imprévisible, savoureux, irrévérencieux.

L’analphabète qui savait compter - Jonas Jonasson - Editions Presses de la Cité - Edition de poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.