Paris : La Poésie, Hommage à Guillaume Apollinaire, péripéties rocambolesques autour d'une oeuvre de Picasso - VIème



"La Poésie", oeuvre allégorique de Pablo Picasso, hommage à Guillaume Apollinaire, joue les discrètes dans le square Laurent Prache au nord de l’église Saint-Germain-des-Prés. Le moule original créé en 1941, dédié par la suite au poète, représente un buste de femme. Dora Maar, pseudonyme de Henriette Theodora Markovitch (1907-1997) photographe, peintre, compagne et muse de Picasso de 1935 à 1943, a servi de modèle. En 1957, alors que la Ville de Paris cherche à honorer une nouvelle fois la mémoire de Guillaume Apollinaire après avoir en 1951 rebaptisé à son nom la rue de l’Abbaye, Pablo Picasso offre l’un des quatre exemplaires originaux en bronze réalisés à la fonderie Valsuani. L’artiste compense alors une vive frustration datant de plus de trente ans. Il a, en effet, été évincé en 1921 du projet de monument funéraire dédié par ses amis au poète mort de la grippe espagnole en 1918. Les ébauches successives de Picasso toutes rejetées, c’est finalement le peintre et décorateur Serge Férat qui dessine ce monument.







L’inauguration officielle de "La Poésie" dans le square du VIème arrondissement se tient le 5 juin 1959 en présence d’André Salmon et de Jean Cocteau. Sans Pablo Picasso, sans André Malraux, le nouveau ministre de la Culture. Elle est interrompus par une manifestation. Echauffés par les rivalités artistiques et politiques qui les opposent à Cocteau, André Breton et le groupe surréaliste protestent vivement contre sa présence. Remous bon teint. Le buste de Dora Maar va connaître une longue période de tranquillité avant d’être impliqué dans des péripéties autrement plus rocambolesques.
Dans la nuit du 30 au 31 mars 1999, la statue de bronze disparaît du square. Elle a été arrachée du support auquel elle était scellée par deux pattes métalliques intégrées à la maçonnerie. Sur le socle au niveau des points d’ancrage, seuls indices, des traces de coup de burin. Si l’oeuvre est de taille relativement modeste, 80 cm de haut sur une base de 55 cm par 40, le bronze creux pèse tout de même 80kg.

La brigade de répression du banditisme est saisie de l’affaire à la suite de la plainte de la mairie de Paris. Le buste est fiché par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels. Les enquêteurs, dans l’impasse, soupçonnent un vol de commande, un contrat passé à un gang spécialisé par un riche collectionneur privé. Sans espoir de retrouver cette oeuvre, la Mairie songe à commander une copie. 








Quelques semaines plus tard, un mystérieux buste de femme est découvert à cinquante kilomètres de Paris, dans les fossés du petit bois de la Garenne au-dessus du château de Grouchy, où est établie la mairie de la commune d’Osny (Val d’Oise). Très sale, abîmé, le bronze ne comporte aucune mention, aucune signature. La trouvaille est dûment signalée par la mairie à la Drac, la direction régionale des affaires culturelles qui ne s’en émeut pas. Aucun rapprochement n’est établi avec l’oeuvre dérobée à Paris.

Le buste pris en charge par les services culturels de la ville qui se chargent de le faire nettoyer. Il est exposé dans le grand escalier de l’entrée principale du château durant 21 mois, jusqu’en février 2001. C’est là qu’il est remarqué par un habitant, Ange Tomaselli, artiste lui-même, qui y reconnaît la patte de l’artiste catalan et fait le rapprochement avec la statue disparue. Il est tout d’abord pris, selon ses mots, pour un « aimable plaisantin » avant que l’oeuvre soit effectivement authentifiée.






La Poésie ne rejoint le square Laurent Prache que le 17 décembre 2001. Réinstallé discrètement, le buste provoque une nouvelle polémique. Les riverains ont du mal à reconnaître l’oeuvre pourtant familière, une impression partagée par le galeriste qui tient boutique juste en face du square ainsi que par l’homme qui avait permis d'attribuer le bronze. La Mairie du VIème, échaudée par la mésaventure, aurait-elle échangé l’original par une copie ? Les explications suivantes sont données : l’oeuvre abîmée a été restaurée et recouverte d’une nouvelle patine. Certains demeurent dubitatifs.

Mais qu’est-il réellement arrivé au buste de Dora Maar ? Les enquêteurs n’ont que des hypothèses. Selon toute vraisemblance, cette indélicatesse serait l’oeuvre de vandales. Lors d’une soirée arrosée - un grand nombre de canettes de bière vides ont été retrouvées sur les lieux du larcin - les voleurs auraient agi par impulsion, par défi, sans se rendre compte du prestige de ce bronze qui par ailleurs n’est pas signé ni de sa véritable valeur. Le lendemain découvrant dans la presse l’émoi que l’enlèvement provoque, ils auraient décidé de se débarrasser de l’encombrant butin en le jetant au diable vauvert…

La Poésie, hommage à Guillaume Apollinaire - de Picasso
Square Laurent Prache - Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie 
Guide des statues de Paris - Georges Poisson - Editions Hazan

Sites référents