Paris : L'Heure de tous et Consigne à vie, deux oeuvres signées Arman sur le parvis de la Gare Saint-Lazare - IXème



L’Heure de tous, côté cour du Havre, et Consigne à vie, côté cour de Rome, sont deux œuvres signées Arman installées symétriquement sur le double parvis de la Gare Saint Lazare depuis 1985. Points de rendez-vous, éléments repères, ces sculptures monumentales à la mesure de l’architecture répondent au principe d’accumulation cher à l’artiste dans la lignée du ready-made duchampien. Les deux réalisations en bronze patiné et émaillé sont l’expression d’une importante politique de commandes publiques lancées par l’Etat au milieu des années 1980. Dans le cadre de projets d’aménagement urbain et de transports publics, cette vaste opération menée par le ministère de la Culture et de la Communication ainsi que le CNAP, le Centre national des arts plastiques, a permis de renouer le dialogue avec les artistes vivants et de tisser des liens entre la création contemporaine et le public. Le plasticien Arman, s’emparant du thème du voyage sous une forme métaphorique, a choisi de traiter la représentation de la vie quotidienne de façon allégorique et grandiose à l’instar des vies héroïques des personnages de la mythologie. Hormis la beauté évidente des éléments, L’Heure de tous et Consigne à vie renvoient par leur forme et le traitement de leur sujet à l’idée de statuaire classique.











Artiste français naturalisé américain en 1972, Arman (1928-2005) passe son enfance dans la boutique d’un père antiquaire, entouré d’objets de brocante où il développe un goût pour les accumulations et pour la collection. Peintre, sculpteur, plasticien, il est l’un des membres éminents du groupe des Nouveau réalistes, fondé par en 1960 par le peintre Yves Klein et le critique d’art Pierre Restany. Parmi les signataires de La Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme, qui proclame "Nouveau Réalisme nouvelles approches perceptives du réel", on compte Pierre Restany qui a rédigé le manifeste et Yves Klein, Arman mais égalment François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé. Ces artistes professent une appropriation du réel qualifié par Restany de « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ». 

En amoncelant les éléments usuels du quotidien, Arman, plus particulièrement, interroge la place de l’objet dans nos sociétés contemporaines, la sacralisation des biens matériels. Après les pénuries de la Seconde Guerre Mondiale et de la reconstruction, l’idée d’accumulation, la débauche d’objets possédés semblent la clé du bonheur, prolongement de soi complet. Le processus de production de masse symbole de l’ère contemporaine, puis de consommation qui tourne à la surconsommation, suivi d’une péremption ou d’obsolescence puis de la destruction des objets manufacturés, ouvre une spirale consumériste à laquelle les nouveaux publicitaires prêtent la vertu de combler le vide des existences. 

Arman explique ainsi sa démarche : "Je n'ai pas découvert le principe de l'accumulation, c'est lui qui m'a découvert. La société entretient son besoin de sécurité par des accumulations instinctives, que l'on perçoit notamment en regardant, les vitrines des magasins, les poubelles et les décharges publiques... Témoin de cette société, je me suis senti concerné par le cycle pseudo-biologique production-consommation-destruction. Pendant très longtemps, mon angoisse a été de constater l'envahissement progressif de notre monde par les objets au rebut."












Lorsqu’il reçoit en 1985 une commande publique afin de créer deux sculptures sur le thème du voyage pour le parvis de la Gare Saint Lazare, Arman fait appel à Régis Nocquel, fondeur d’art de l’Atelier Bocquel avec qui il travaille souvent. Les dimensions imposantes de ces compositions - L’Heure de tous mesure 4,6 mètres de haut et Consigne à vie 5,5 mètres - soulignent la poésie ludique, le dynamisme réaliste de réalisations exécutées sur le principe d’accumulation et qui selon le souhait de l’artiste semblent en équilibre instable, prêtes à s'effondrer.

Colonne d’horloges en bronze soudées entre elles, L’Heure de tous, cour du Havre, doit son titre au roman de l’auteur mexicain Juan José Arreola dont le réalisme magique, la poésie de l’étrange a durablement marqué Arman. Ce nom singulier renvoie également à l’universalité du temps. Les horloges de tailles variables, de formes diverses carrées, rectangulaires, octogonales ont été coulées dans des moules peu communs. Afin de multiplier les dessins, ils ont été créés à d’objets n’ayant aucun rapport à l’horlogerie, roue de camionnette, miroir de salle de bain, bidons en plastique. Les cadrans émaillés, dont les aiguilles indiquent toutes une heure différente, évoquent la relativité du temps, la fièvre anxieuse des passagers obsédés par les horaires des trains, la lenteur ou la vitesse du voyage.

Pour Consigne à vie, accumulation de valises en bronze patinées en couleur, Arman s’est  inspiré du spectacle à l’aéroport des bagagistes entassant des bagages sur des chariots en piles précaires. La valise objet usuel, attribut prosaïque par excellence du voyage, par le biais du bronze qui convoque la statuaire classique, accède à un statut particulier. L’agencement des éléments, sa rigueur élégante semble déployer des vertus mémorielles et sensible, mélancolie du départ ou du retour, joie des retrouvailles…

En 1985, la modernité de la forme et du propos rencontre l’incompréhension du public. Arman explique : « Quand j’ai installé " l’Accumulation d’horloges " et " l’Accumulation de valises ", je questionnais les chauffeurs de taxi. A 80%, c’était le refus. La seconde année, ils étaient troublés. La troisième année, ils me faisaient un cours sur les sculptures : " Les montres, cela veut dire le temps, car on est toujours pressé quand on prend le train. Les valises, c’est l’arrivée : on ne sait pas où les mettre, on les empile. " En quelques années, le public s’est habitué. Maintenant, on photographie, on fait poser sa famille ».

Consigne à vie et L’Heure de tous appartiennent à la collection du Centre national des arts plastiques - ministère de la Culture et de la Communication. Dans le prolongement de la rénovation du parvis de la Gare Saint Lazare, le projet Demain Saint Lazare, une double démarche patrimoniale et de service, les deux œuvres ont été restaurées. En place depuis près de trente ans, abîmées par la pollution, les pigeons qui y nichaient, les sculptures étaient devenues monochromes sous la couche de crasse. Afin de retrouver leur aspect d’origine, elles ont passé six mois à l’Atelier Bocquel à Bréauté. Cette initiative a été prise en charge par la SNCF grâce au soutien du CNAP. L’Heure de tous et Consigne à vie ont retrouvé leur place à l’occasion de de l’inauguration du nouveau parvis de la Gare Paris Saint-Lazare le 14 mai 2014

L’Heure de tous et Consigne à vie, oeuvres d’Arman
Parvis de la Gare Saint Lazare - Paris 9



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Guide des statues de Paris - Georges Poisson - Les guides visuels Hazan 

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