Paris : Passage du Chantier, réminiscences de l'ancien Faubourg Saint Antoine et histoire des métiers du bois - XIIème



Le passage du Chantier surgit au fond de porches profonds, vestige animé de la grande époque des métiers du bois du Faubourg Saint Antoine. Jetée à travers le pâté de maison jusqu’à la rue de Charenton, cette étroite ruelle pavée perpétue la tradition. Peu d’artisans en arrière-boutique demeurent. Seules les échoppes de restaurateurs résistent. Les magasins de meubles perdurent joliment achalandés, vifs et colorés. Enseignes en fer forgé, grilles richement ouvragées évoquent la complémentarité des artisanats et la présence des ferronniers auprès des ébénistes. Ouvert en 1842, classé dans la voirie parisienne par arrêté municipal du 9 février 1995, le passage du Chantier sinue à l’ombre des petits immeubles ponctués de courettes pittoresques, arrière-cours, jardinets que les boutiques ont transformé en lieu d’exposition. Son nom fait référence aux chantiers du bois proches des ateliers où étaient entreposés les matériaux nécessaires au travail des métiers du meuble. Lieu de flânerie hors du temps, cette singulière venelle est propice aux découvertes insolites même si son histoire demeure fort simple. Le fait le plus romanesque s’y rapportant remonte à la révolution de 1848, lorsqu’une fonderie de serrurerie situé au numéro 10 s’y fit fabrique clandestine de munitions. Petit détour par le faubourg.










Dans le quartier populaire des Quinze-Vingt et du Faubourg Saint-Antoine, la forte densité du tissu urbain a longtemps rassemblé les communautés et perpétué leur esprit frondeur. Ici, la prolifération des commerces dédiés au mobilier suggère la persévérance d’une certaine situation historique. Dès le XVème siècle, les artisans du Faubourg Saint Antoine se concentrent sur le travail du bois. 

La situation géographique, la proximité de ports de débarquement le long de la Seine, y favorise le développement des métiers du bois. Des chantiers de bois à brûler bordent le bassin de l’Arsenal de jusqu’à la Bastille. L’abbaye de Saint Antoine obtient des exemptions royales particulières l’affranchissant des contraintes des guildes. Louis XI autorise les corps de métiers à travailler librement sur le domaine. Des ouvriers peuvent devenir maître sans faire partie d’une corporation, sans avoir suivi le long apprentissage imposé, et disposer de vastes chantiers. 









Ces privilèges sont confirmés par Henri IV en 1598. Louis XIV confirme la franchise des artisans du bois. Le Faubourg Saint Antoine acquiert au XVIIème siècle une réputation de savoir-faire unique. La créativité s’exerce à travers de nouveaux modèles qui voient le jour dans les ateliers. C’est là que la commode, évolution formelle du coffre, fait sa première apparition. Au XVIIIème siècle de prestigieux ébénistes y résident parmi lesquels Joseph, Jacques Dubois, Bernard II Van Risen Burgh, Roger Vadercruse dit Lacroix, Etienne Levasseur. Le statut des ébénistes est néanmoins sujet à controverse. En 1776, le pouvoir royal leur demande de rejoindre les corporations. Et quelques années plus tard, les révoltes et émeutes populaires qui mèneront à la Révolution s’allument Faubourg Saint Antoine.

Le quartier conserve encore de nos jours cette structure particulière de passages qui jettent des ponts entre les grands axes. L’aspect pittoresque de ruelles, telles que le passage du Chantier, illustre l’importance de l’activité industrielle et des échanges entre la rue du Faubourg Saint Antoine où étaient vendus les meubles et la rue de Charenton où de nombreux ébénistes travaillaient. En façade, les échoppes réglaient les affaires de négoce tandis qu’en coulisses dans les passages et les courettes, œuvraient les artisans, tapissiers, menuisiers, sculpteurs, vernisseurs, laqueurs qui se rassemblent selon leur spécialité par immeuble ou par îlot.









Néanmoins, le déclin des métiers du meuble depuis la fin du XIXème siècle a entraîné des changements dans la configuration du quartier. La régression s’est particulièrement accentuée dans les années 1920 du fait de l’industrialisation de la production. Les diverses entreprises ont quitté le faubourg pour des locaux plus adaptés en banlieue ou en province. 

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, le bois a été supplanté dans la conception des meubles par d’autres matériaux, plastique, verre, acier. Le nombre des artisans a diminué de façon drastique. Ceux qui demeurent se sont spécialisés dans l’ébénisterie d’art, exigeant une grande technicité et un savoir-faire ancestral. Si le Faubourg Saint Antoine est gagné par la gentrification, on y trouve encore de précieux ateliers de restauration de meubles de style, qui à l’occasion réalise des copies d’anciennes boiseries. La disparité de l’offre laisse beaucoup de place à un mobilier plus contemporain. Néanmoins, peu d’ouvrages de finition et d’assemblage ont encore lieu au fond des cours du faubourg. 

Passage du Chantier - Paris 12
Accès 66 rue du Faubourg Saint Antoine et 53 rue de Charenton 
Métro Bastille lignes 1, 5, 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 12è arrondissement - Danielle Chadych - Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Éditions de Minuit

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