Cinéma : Leto, de Kirill Serebrennikov - Avec Irina Starshenbaum, Teo Yoo, Roman Bilyk



Au début des années 1980, en Union soviétique, une nouvelle génération de musiciens voit le jour alors qu’émerge une scène rock underground florissante. A Leningrad, Viktor Tsoi chanteur très inspié par le glam-rock cherche à se faire un nom. Il rejoint une communauté de rockeurs rêveurs qui prônent le collectif plutôt que l’individu et se réunissent autour de disques de contrebande. Lou Reed, Iggy Pop, david Bowie, Led Zeppelin sont leurs idoles. Leader charismatique du groupe Zoopark, Mike Naumenko et sa muse Natasha prennent Viktor sous leur aile. Mike s’implique tellement dans son rôle de mentor, qu’il met sa propre carrière de côté pour se dévouer à celle de Viktor dont la personnalité magnétique trouble Natasha.






Directeur du Centre Gogol à Moscou, Kirill Serebrennikov, est assigné à résidence depuis plus d’un an. Le ministère public l’accuse d’avoir détourné des sommes faramineuses sous forme de subventions, notamment en ne montant pas les projets initiés alors que dans les faits ces spectacles sont toujours à l’affiche du théâtre. Son procès s’est ouvert le 7 novembre.

Si Leto remplit un rôle de plaidoyer pour le droit des artistes et contre les intimidations pernicieuses du pouvoir russe, cette oeuvre va bien au-delà en s’affirmant comme un manifeste artistique fort aux partis pris esthétiques tranchés. Cette chronique historique à la veille de la Glasnot, romance autour d’un trio amoureux, s’affirme comme le cri de révolte de la jeunesse, une ode à liberté, au rock, à l’amour. Les comédiens attachants donnent à ce triangle des passions une vibration très Jules et Jim. Roman Bilyk qui incarne Mike Naumenko est impeccable face à Irina Starshenbaum en Natacha séduite par Teo Yoo, qui jour Viktor Tsoï, la star du groupe Kino représentant d’un glam rock crépusculaire et dont le plus gros tube fut l’hymne de la Perestroïka.






Dans ce film baroque, généreux, Kirill Serebrennikov saisit ce moment de rébellion adolescente qui donne au quotidien une poésie particulière. Ici les besoins d’émancipation se traduisent par une vénération du rock venu de l’Ouest, sorte refuge porteur d’un esprit libertaire qui paradoxalement répond à des codes et désignent des modèles à suivre.

Virtuose, le cinéaste signe une mise en scène étourdissante dont le rythme parvient à saisir l’euphorie de cette jeunesse. Le récit déstructuré donne une grande liberté à la construction à travers laquelle le réalisateur explore les fils narratifs avec inventivité. 




Tourné en format scope, écran large, le film se drape dans un noir et blanc splendide ponctué de touches de couleurs tandis que le réalisateur s’accorde des expérimentations graphiques et ludique à même la pellicule dans une recherche plastique vivifiante. Dans la rue, le train, le bus, dans un immeuble, les gens chantent, dansent, à travers des scènes musicales oniriques peuplées de personnages truculents. Kirill Serebrennikov traduit en images l’énergie d’une ébullition créatrice.

Imprévisible, visuellement stimulant, Leto possède la grâce des rêves fragiles et la fantaisie des idéaux complexes. Un très beau film.

Leto, de Kirill Serebrennikov
Avec Irina Starshenbaum, Teo Yoo, Roman Bilyk
Sortie le 5 décembre 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.