Lundi Librairie : Une fille, qui danse - Julian Barnes



Une fille, qui danse - Julian Barnes : Tony, le narrateur, la soixantaine, retraité, divorcé, vit seul avec ses souvenirs d’une vie sans grand relief. Il se rappelle sa jeunesse dans les années 1960, ses illusions perdues, ses idéaux oubliés et ses révoltes inachevées. Au lycée, Tony, Alex et Colin forment un clan soudé par ces amitiés adolescentes, teintées d’arrogance et de compétition. Lorsqu’Adrian plus mature, plus brillant, cynique et énigmatique se joint à eux, il devient la figure centrale de leur petit groupe. Séparés par la suite de leurs études à l’université, les quatre garçons vont voir leurs liens peu à peu se distendre. Tony parvient enfin à attirer l’attention d’une fille, Veronica qui le fait lanterner. Mais ils rompent. Et elle lui préfère l’intelligence vive d’Adrian. Tony leur envoie une lettre aigre de petit jeune homme vexé. Peu de temps après Adrian se suicide. Quarante ans plus tard, après un mariage, un enfant, un divorce presque paisible, une vie sans aspérités, Tony apprend par l’intermédiaire d’un avocat que Sara, la mère de Veronica, lui lègue le journal intime d’Adrian. Alors qu’il tente de rassembler ce qu’il a de souvenirs, Veronica, fantôme du passé fantasque, figure troublée et troublante, refuse absolument de lui remettre.

Ample réflexion sur le temps qui passe, Julian Barnes poursuit dans Une fille, qui danse son observation de l’âme humaine. D’une plume sensible, il explore les arcanes de la mémoire, fait rejaillir l’essence des êtres dans la langueur mélancolique d’une narration qui bat au rythme du monde en marche. Sous le réalisme laconique de ce court texte se révèle la puissance féroce du romancier. Avec un rare sens du rythme, l’auteur suit le mouvement du monde. La langueur mélancolique sert la finesse psychologique des personnages soulignant avec pertinence les errances de la mémoire et ses failles.

Délicatesse, gravité, drôlerie aussi, Julian Barnes trace le portrait subtil d’un personnage des plus ordinaires. Pour Tony, la vie passe silencieuse, décevante, insipide. Mais le romancier choisit de bouleverser cette relative sérénité. Tony n’avait rien compris. Depuis toujours, il est passé à côté de l’essentiel, aveuglé par les certitudes d’un souvenir reconstruit. Alors que le narrateur retrouve dans la mémoire d’une jeunesse idéalisée, passé réarrangé, le lointain frisson de ce que son existence aurait pu être, les différents protagonistes laissent échapper des détails divergents comme autant de malentendus qui peu à peu forgent le sens du regret et de la culpabilité. 

La mémoire est trompeuse et les petits arrangements avec celle-ci volent en éclat lorsqu’un nouvel éclairage impose une version alternative des faits. La vérité affleure au fil du récit comme un long frémissement, intuition d’une réalité entêtante qui vient troubler le souvenir de Tony et fait apparaître en creux un autre roman de passion et de déchirements. Opportunités manquées, petites insuffisances et grands ratés, les révélations donnent une autre teinte à ces souvenirs. Avec la clairvoyance de l’âge, le regard rétrospectif sur soi et sur l’existence se fait aussi déroutant que cruel. Poignant, troublant.

Une fille, qui danse - Julian Barnes - Traduction Jean-Pierre Aoustin - Editions Mercure de France - Edition de poche Folio



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.