Pureté des formes, symbolisme au modelé nerveux, tension et vivacité, les longilignes sculptures d’Alberto Giacometti (1901-1960) sont désormais iconiques. Les silhouettes étirées fines comme des lames procèdent d’une intemporalité de la ligne en mouvement, comme projetée dans l’espace, où le socle s’affirme primordiale. Grande exposition événement au musée Maillol, Giacometti, entre tradition et avant-garde propose une relecture du travail du sculpteur suisse à travers un parcours chronologique et thématique qui met en regard une cinquantaine de ses œuvres avec la production d’une vingtaine de contemporains. Sur les traces de L’Homme qui marche, se révèlent en majesté la richesse et la diversité du mouvement créatif d’Alberto Giacometti. Ces plâtres, parfois peints, et les bronzes semblent malgré leur puissante singularité et le refus de l’artiste d’appartenir à un mouvement défini, n’avoir jamais rompu le dialogue avec ses prédécesseurs et ses pairs.
Les commissaires d’exposition Catherine Grenier, directrice de la Fondation Giacometti et Thierry Pautot, historien d’art, ont choisi de confronter Alberto Giacometti à son époque en suivant les étapes essentielles qui ont marqué son évolution plastique. L’exposition au musée Maillol propose de nouer une conversation inspirée avec les artistes majeurs de son temps, ses aînés, ses mentors, Antoine Bourdelle dont il fut l’élève à l’Académie de la Grande Chaumière, Auguste Rodin, Charles Despiau, Aristide Maillol dont la modernité classique marqua profondément ses débuts mais également ses contemporains, Ossip Zadkine, Joseph Csaky, Jacques Lipchitz, Constantin Brancusi, Henri Laurens, Germaine Richier.
Fruit d’une famille d’artistes, Alberto Giacometti s’initie très tôt à la création avec son père Giovanni Giacometti, peintre néo-impressionniste reconnu, qui sera également son premier modèle. Les oeuvres de jeunesse révèlent déjà une sensibilité de la ligne particulière. Avec la période méconnue de l’avant-guerre, l’arrivée à Paris en 1922 alors qu’il suit les cours d’Antoine Bourdelle, l’exposition illustre la passion pour l’histoire de l’art du jeune artiste et son respect des grands maîtres. Le regard incisif, la fermeté du trait sont déjà évidents.
Vers 1925, la rencontre d’Alberto Giacometti avec le milieu de l’avant-garde parisienne marque un tournant dans son travail, une rupture avec la voie académique. Il s’initie à la géométrie, au cubisme, découvre l’art africain, la statuaire grecque. Il fréquente les Surréalistes, Aragon, Breton, Tzara, Dali, Crevel, Masson, se laisse tenter par l’abstraction avec des figures plates qui rappellent le travail de Brancusi ou encore Laurens.
Mais dès 1935, Alberto Giacometti fait un retour à la figuration. Il est obsédé par le motif de la figure humaine marquée par le temps qui passe. Porté par une fascination pour l’exactitude naturaliste, une véritable monomanie des proportions, il aborde la question du visage dans d’innombrables séries de têtes d’après modèle, le modèle étant très souvent son frère Diego avec qui il partage son atelier. Dans ces sculptures particulières, l’émotion prend forme avec une sensibilité illustrant formidablement l’humanité des modèles.
Dans les années 1950-60, les groupes complexes interrogent l’artiste qui réalisent La Clairière 1950, Femmes de Venise III 1956, des œuvres misent en parallèle dans l’exposition avec Les Bourgeois de Calais de Rodin 1895 ou Les Nymphes de la Prairie de Maillol 1830-1837.
Les silhouettes de femmes, qui puisent notamment leur inspiration dans la haute antiquité, semblent marquer la libération de ces intenses silhouettes allongées dont la série a débuté avec La femme qui marche en 1932. Les grandes figures debout dont la plus emblématique L’Homme qui marche II 1960 est présentée au côté du Saint Jean Baptiste de Rodin 1878 aborde un mouvement qui prolonge cet étirement toute en tension.
En parallèle avec l’atelier reconstitué de Maillol, une sélection de lithographies, de dessins, de documents d’archives et de photographies évoquent avec émotion le minuscule atelier-caverne de 23m2 de la rue Hippolyte-Maindron dans le XIVème arrondissement. Derrière l’objectif, des noms prestigieux : Sabine Weiss, Brassaï, Emme Andriesse, Isaku Yanaihara, Patricia Matisse, Herbert Matter, Denise Colomb.
Giacometti, entre tradition et avant-garde met en évidence les points communs et les divergences d’un sculpteur hors norme, inclassable, avec les artistes de son temps. Détaché des courants majeurs, la voie singulière qu’il a suivie aura cependant révélée plastiquement les échos d’influences contemporaines. L’exposition du musée Maillol permet de mieux appréhender les motifs fondamentaux de Giacometti, de saisir plus clairement ses orientations formelles, en voyageant aux sources de de son inspiration, des ancrages définitifs jusqu’aux variations infinies de la recherche perpétuelle.
Giacometti, entre tradition et avant-garde
Jusqu’au 20 janvier 2019
Musée Maillol - Fondation Dina Vierny
59-61 rue de Grenelle - Paris 7
Horaires : Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 18 h 30 - Nocturne le vendredi jusqu’à 20 h 30
Tél : 01 42 22 59 58
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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