Cinéma : Burning, de Lee Chang-Dong - Avec Yoo Ah-In, Steven Yeun, Jeon Jong-seo - Par Didier Flori



Fils d’exploitants fermiers et apprenti romancier, Jongsu travaille comme livreur à mi-temps à Paju, près de la frontière avec la Corée du Nord. Lors d’une livraison, il se fait reconnaître par Haemi, une voisine de son enfance. Le jeune homme est à la fois attiré par la jeune femme et intrigué par sa personnalité extravertie. Elle lui parle bientôt de son voyage prochain en Afrique et lui demande de s’occuper de son chat pendant son absence. Lorsqu’elle l’emmène dans son appartement, Jongsu ne voit aucune trace de l’animal mais à l’initiative de Haemi ils finissent par avoir une relation sexuelle. Obsédé par la jeune femme, il attend son retour avec fébrilité mais déchante lorsqu’il la voit arriver aux côtés de Ben, un hédoniste aisé entouré de mystères.






On n’avait plus de nouvelles de Lee Chang-Dong depuis Poetry, pour lequel il avait reçu le prix du scénario au festival de Cannes 2010. A la recherche d’une histoire avec sa coscénariste Oh Jung-Mi, le réalisateur a travaillé pendant 5 ans sur des projets qui n’ont pas abouti avant de tomber sur une nouvelle d’Haruki Murakami intitulée Les granges brûlées. On retrouve dans Burning la sensualité et l’étrangeté caractéristiques de l’auteur de Kafka sur le rivage. Homme de lettres, Lee a aussi développé le bref récit en s’influençant d’une nouvelle homonyme de William Faulkner, Barn Burning, traduite en France sous le titre L’incendiaire. Ces références croisées aboutissent à une œuvre complexe et ambiguë, au pouvoir de fascination indéniable.

Au premier abord, Burning est le récit d’apprentissage de son héros Jongsu. Tiraillé entre ses désirs d’artiste et ses petits boulots, empêtré dans l’héritage familial d’une ferme dont il doit s’occuper, le jeune homme est l’incarnation d’une jeunesse qui cherche sa place dans la société, en quête de repères dans un monde qui prend selon Lee « les allures d’un casse-tête géant ». Haemi est tout aussi perdue, émue aux larmes alors qu’elle fait le récit d’un coucher de soleil qu’elle perçoit comme une annonce de sa propre disparition. Le seul qui semble trouver son chemin dans le monde est Ben, personnage énigmatique à la Gatsby auquel Steve Yeun apporte son charme vénéneux. Entre les trois jeunes gens, la rivalité sentimentale se teinte d’un conflit de classes, la colère croissante de Jongsu étant attisée par l’apparent mépris hautain de Ben. 





Lee et Oh nous mettent cependant en garde contre cette interprétation au premier degré. Il est beaucoup affaire de subjectivité et de ressentis dans Burning, tant et si bien que la vérité est difficile à cerner. Haemi se souvient ainsi d’un traumatisme de jeunesse dont ni Jongsu ni sa famille n’ont aucun souvenir. Le cinéaste parvient à créer le trouble par petites touches de scène en scène, de façon à ce que l’enquête menée par Jongsu qui constitue le deuxième temps du récit soit finalement sujette à caution. A ses côtés dans sa quête désespérée, n’avons-nous pas été influencés par sa vision du monde ? Avec Burning, Lee et Oh proposent une expérience de pur cinéma, en nous mettant face à notre processus inconscient de création de sens face à un film.




Le principe d’incertitude au cœur de Burning et son caractère irrésolu pourra à coup sûr dérouter en bout de course, mais on y aura pris un vrai plaisir de spectateur. Lee gère ses ambiances de main de maître, au rythme d’une bande son qui donne le la. Un thème dominé par les basses accompagne à merveille les courses effrénées de Jongsu dans la campagne ou une filature en voiture haletante. Ailleurs, le cinéaste a le culot de réutiliser un des morceaux composés par Miles Davis pour Ascenseur pour l’échafaud. Qu’est-ce que Lee peut donc offrir après les images mythiques de Jeanne Moreau déambulant dans les rues nocturnes de Paris ? Rien de moins qu’un moment de grâce, une danse filmée en plan séquence au crépuscule qui sublime à jamais la magnifique Jong-Seo Jun.

Burning, de Lee Chang-Dong
Avec Yoo Ah-In, Steven Yeun, Jeon Jong-seo
Date de sortie 29 août 2018 


Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.