Cinéma : The Guilty, de Gustav Möller - Avec Jakob Cedergren, Jakob Ulrik Lohmann, Laura Bro - Par Didier Flori



Sanctionné pour une faute commise lors d’une patrouille, Asger est obligé de travailler dans un centre d’appel d’urgences. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est loin de compatir avec ses interlocuteurs ; il fait la leçon à un drogué en état d’overdose, ou laisse intentionnellement dans l’attente un client qui s’est fait voler par une prostituée. Le policier a hâte de revenir sur le terrain, et il le fait savoir. Frustré d’être réduit à l’inaction, il s’attend à une soirée sans grand intérêt mais bientôt, un appel au secours laconique va le pousser à s’investir pleinement, peut-être plus que de raison.






Premier long métrage du Suédois Gustav Möller, The Guilty est une franche réussite dont on comprend qu’elle ait remporté le Prix de la critique au dernier festival du film policier de Beaune. La gageure de ce thriller danois est de se dérouler entièrement en huis clos ; le cinéaste et scénariste s’y tient et en joue pour construire une tension qui nous prend sans jamais nous lâcher. Le principe simple au centre du film est de mettre en valeur une composante qui passe trop souvent au second plan au cinéma, le son.

C’est en écoutant une série de podcasts qui retraçait une enquête autour d’un fait divers que le réalisateur a eu l’idée de son projet. Les ambiances sonores suffisaient à recréer des scènes, en faisant appel à l’imagination visuelle de l’auditeur. Dans The Guilty, Möller utilise ce pouvoir de suggestion du son pour créer le suspense. Le spectateur reste collé à Asger et ne voit jamais ses interlocuteurs, et ce manque d’information ne tarde pas à faire imaginer le pire au fur et à mesure que le policier découvre des éléments savamment dosés, de plus en plus alarmants. Comme ce film le rappelle avec une redoutable efficacité, l’invisible est souvent plus angoissant que ce qui est montré.




Ce concept malin pourrait trouver sa limite et devenir un système de mise en scène arbitraire à la longue. Le film en est heureusement préservé grâce à son personnage principal ambigu, interprété par un Jakob Cedergren au regard puissamment expressif. Dès les premières scènes, Möller se garde bien de faire de ce témoin un simple vecteur d’identification pour le spectateur. Cynique et presque antipathique de prime abord, cet antihéros gagne progressivement en consistance. Le scénario organise avec brio le glissement de statut de ce spectateur-enquêteur à celui d’acteur agissant sur les événements et écrivant par là même son propre destin.

Tourné sur treize jours avec trois caméras, The Guilty est parcouru d’une urgence et nous laisse à bout de souffle, avec l’impression d’avoir assisté à un drame en temps réel. Möller nous a maintenus en éveil comme rarement on l’est au cinéma, à coup de retournements de situation multiples qui nous obligent à régulièrement réajuster notre point de vue. En nous plaçant au côté de son personnage principal, sans échappatoire, le cinéaste nous interroge à chaque étape du récit sur ses choix. Et nous renvoie toujours à cette question cruciale : qu’aurions-nous fait à sa place ?

The Guilty, de Gustav Möller
Avec Jakob Cedergren, Jakob Ulrik Lohmann, Laura Bro
Sortie le 18 juillet 2018



Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.