Tartaglia, roi de Monterotondo, a passé dix-huit à guerroyer au loin avant de pouvoir rentrer chez lui. Pendant son absence, la reine-mère, la cruelle Tartagliona, a fait en sorte de se débarrasser de Ninette, la dulcinée de son fils et de leurs jumeaux Renzo et Barbarina. Terrassé par ce triple deuil, Tartaglia n'a plus goût à rien. Mais en réalité, enterrée sous l'évier du château Ninette survit grâce à l'aide d'un mystérieux oiseau vert doté de pouvoirs magiques. Quant aux jumeaux, jetés dans le canal, ils ont été secourus de la noyade et recueillis par un couple de charcutiers qui les ont élevés comme leurs propres enfants sans rien savoir de leurs royales origines. Renzo et Barbarina, devenus de doctes jeunes gens férus de philosophie nouvelle, tout engoncés de leur prétention intellectuelle, se montrent d'une rare ingratitude envers eux.
L'Oiseau Vert écrit en 1765 par le vénitien Carlo Gozzi (1720-1806), grand rival de Goldoni, illustre à merveille la portée critique de la comédie. Aussi caustique que brillant, l'auteur y règle ses comptes avec la société, se moque de la philosophie pontifiante, s'élève contre les diktats des idéologues. Cette farce féroce d'une folle liberté embrasse tous les excès et toutes les monstruosités dans une histoire à tiroirs ponctuée de nombreuses péripéties rocambolesques. Le conte initiatique, cocasse et poétique, brocarde les travers de l'être humain avec verve développant une fine réflexion morale sous des abords burlesques. Ambitions sociales, égoïsme, narcissisme, les thèmes sont troublants d'actualité.
Le verbe coloré, la parole haute de Gozzi retrouvent dans la nouvelle traduction signée Agathe Mélinand leur complexité originelle. Ne reculant pas devant la crudité, elle fait retentir en français la musique des vers italiens, saisit avec intelligence les variations de style, leur grande diversité, rend avec panache l'humour sarcastique de l'auteur.
Laurent Pelly qui signe la mise en scène, les décors et les costumes a donné au spectacle une dimension plastique saisissante, la beauté d'un univers à l'imagerie onirique. La scénographie organisée autour d'un long plateau ondulé bordé d'ampoules, déploie des trésors de trompe-l'œil, joue des perspectives pour faire apparaître sous nos yeux ébahis plage, palais, grotte, colline maudite.
Dans ce théâtre d'illusions, le surnaturel surgit sur scène avec des moyens artisanaux. Les décors d'une grande élégance soulignés par la magie des lumières de Michel Le Borgne prolongent cette esthétique de conte de fée, l'univers fantastique teinté de loufoquerie des statues philosophes, de l'eau qui danse et du chœur des pommes chantantes.
La fable grinçante portée par une très belle troupe. Emmanuel Daumas en souverain dépressif fait face à une terrible Marilú Marini, reine-mère sanguinaire, marâtre digne des frères Grimm. Olivier Augrond est irrésistible dans le rôle du prince charmant sous le coup d'une malédiction transformé en oiseau. Georges Bigot et Nanou Garcia incarnent le couple de charcutiers avec beaucoup de tendresse tandis qu'Eddy Letexier dans son rôle de Pantalon, bouffon de la farce, est des plus réjouissants.
Spectacle enlevé, fable mordante à la fantaisie débridée, cet Oiseau Vert a l'élégance d'une pensée vive et l'émotion de sa délicatesse. Féérique et cocasse, une merveille !
L'Oiseau Vert, de Carlo Gozzi
Traduction Agathe Mélinand
Mise en scène, décors et costumes Laurent Pelly
Avec Pierre Aussedat, Georges Bigot, Sabine Zovighian, Emmanuel Daumas, Nanou Garcia, Eddy Letexier, Régis Lux, Olivier Augrond, Marilú Marini, Jeanne Piponnier, Antoine Raffalli, Fabienne Rocaboy
Du mardi au samedi à 20h30, matinée le dimanche à 16h
Jusqu'au 17 juin 2018
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 bd Saint-Martin - Paris 10
Tél : 01 42 08 00 32
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire