Lundi Librairie : Priez pour nous - Lionel Duroy



Priez pour nous - Lionel Duroy : Lorsque mademoiselle Grangemarre, rejeton d'une bourgeoise famille bordelaise, épouse le baron Raoul Guidon de Repeynac, elle compte bien tenir son rang. Aristocrate désargenté, celui que l'on surnomme Toto prend le parti de satisfaire tous les desiderata de sa femme et de mener grand train. La situation ne dure qu'un temps. Les illusions soigneusement entretenues par Toto s'effondrent comme château de carte. William le narrateur a dix ans quand la famille Guidon de Repeynac est expulsée manu militari de leur superbe appartement de Neuilly. Suivis par Thérèse, la bonne ils sont relogés en banlieue ouest, dans des HLM flambant neuves, Cité du Bois Brûlé. Toto, criblé de dettes, signe pléthore de chèques sans provision, multiplie les petits boulots et les combines douteuses pour se sortir de la panade. Les huissiers sont à la porte de l'HLM, l'électricité et le gaz sont coupés. A chaque dispute entre les deux époux, naît un nouvel enfant. Six, puis sept, huit, neuf. La mère sombre dans la dépression, leur fait vivre un cauchemar. 

Pour Lionel Duroy, la littérature est une affaire personnelle. Depuis plus de vingt ans, il conte avec verve le naufrage de sa famille, cette débâcle dont les enfants furent les spectateurs impuissants. Dans Priez pour nous, premier opus de la geste familiale, l'auteur cherche dans l'écriture la juste distance entre autobiographie et fiction, sincérité et pudeur. A la fois drôle, pathétique, éprouvant parfois, poignant souvent, le texte évoque avec force cette douleur personnelle qui continue de hanter sa vie.

Avec humour, Lionel Duroy décrit la chute de sa famille, cette déchéance comme une vie de bohème foutraque, presque joyeusement. Il refuse de se complaire dans le misérabilisme. Jouant subtilement sur la différence entre la personne et le personnage, il explore l'ambivalence des êtres, construit des caractères de fiction méprisables tout à fait magnifiques. Sous sa plume, ils deviennent plus grands que nature, plus dramatiques aussi. Expulsion, déscolarisation, vie d'expédients, la littérature rend plus dense, plus riche, moins affreuse cette mémoire qu'il évoque à travers le prisme du regard du petit garçon et toute sa naïveté.

Croquant un milieu, une mentalité, Lionel Duroy écrit les clivages qui séparent la société française des années 1960. Dans cette famille, l'obsession de la notion de classe sociale et les prétentions d'une aristocratie déchue vont les faire aller droit dans le mur. Catholiques réactionnaires, les idées d'extrême droite y sont largement relayées par un père bonimenteur qui doit de l'argent à la terre entière. Personnage de mégère hystérique, rongée par ses rêves d'opulence, la mère neurasthénique ne se remet pas de son déclassement. Lentement, elle bascule dans la folie, insensible à la détresse de sa ribambelle d'enfants. Cette indifférence des parents vis-à-vis de leur progéniture semble traduire toute la mesquinerie, la sécheresse de cœur et la bêtise qui corrompt ces êtres.

La honte, l'humiliation, le chagrin, pour échapper à cette forme de violence insidieuse, Lionel Duroy a trouvé le chemin de l'écriture afin de ne pas dépérir et d'assouvir un besoin de revanche. Le romancier pétrit avec rage ses souvenirs pour tenter de résoudre l'énigme de son enfance chaotique. Poignant.

Priez pour nous - Lionel Duroy - Editions Bernard Barrault - Edition de poche J'ai Lu



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.