Expo : Delacroix 1798-1863 - Musée du Louvre - Jusqu'au 23 juillet 2018



"Chef de l'école moderne" selon Baudelaire, Eugène Delacroix privilégie tout au long de sa vie la couleur plutôt que le dessin. "Les Massacres de Scio" (1824), "La Liberté guidant le peuple" (1830), "La Mort de Sardanapale" (1827), ses œuvres spectaculaires, les plus connues, peintes comme des coups d'éclat pour se faire remarquer au cours de la première décennie de sa pratique révèlent l'audace, la liberté et la sensualité d'un artiste à part, complexe, prolifique. Le Louvre qui possède dans ses collections la plupart des grands tableaux historiques présente une importante monographie pour un aperçu inédit sur le travail de Delacroix, une vision synthétique de son oeuvre. Tour à tour classique, baroque, romantique, flamand, Eugène Delacroix n'a cessé de se réinventer en changeant radicalement de style, d'orientation plastique jusqu'à se laisser tenter par les courants de mode. A travers des thèmes classiques, la littérature, l'actualité, l'histoire, les paysages, les sujets religieux, les portraits, le peintre a su exprimer toute la diversité de son talent et son originalité. Au Louvre, 180 toiles, estampes, dessins sont réunis en une rétrospective orchestrée par Sébastien Allard et Côme Fabre, les commissaires de l'exposition, qui n'oublie pas l'homme privé avec des journaux intimes, des lettres à ses amis dont George Sand ou encore des carnets de voyage éclairant sa personnalité. L'exposition a pour objectif de présenter également de manière exhaustive des périodes moins connues de son travail afin de changer le regard qui est porté sur le peintre et son oeuvre. 










Chef de file de la peinture romantique, Eugène Delacroix n'a pas été exactement un artiste maudit malgré un parcours entre succès, désillusions et rebuffades. Sa vie a été marquée par une célébrité précoce qu'il a tout fait pour provoquer. Orphelin à seize ans, Eugène Delacroix qui est issu d'une famille de notables ruinés se retrouve sans moyens de subsistance. Sans fortune personnelle, son oeuvre sera jusqu'à la fin marquée par les contraintes des artistes qui vivent de leur travail. Son désir essentiel de gloire naît des nécessités matérielles. 

De 1815 à 1820, Delacroix est formé dans l'atelier du peintre Pierre Guérin où il est condisciple de Géricault de sept ans son aîné. Celui-ci a fait sensation au Salon en 1819 avec son Radeau de la Méduse et Delacroix, à sa suite, y tente sa chance en 1822 avec La Barque de Dante ou Dante et Virgile aux Enfers dont la modernité est diversement reçue. Bifurquant de la traditionnelle voie académique, Delacroix a choisi de miser sur des éclats spectaculaires afin de marquer les esprits du public et de la presse. Il souhaite acquérir une notoriété immédiate et y parvient. Mais il lui devra quelques déconvenues comme des refus au Salon ou encore une élection tardive en 1857 à la section Beaux Art de l'Institut après avoir été refusé sept fois.











Les œuvres réalisés pendant les dix premières années de sa carrière demeurent les plus célèbres. Toiles immenses, elles possèdent une puissance spectaculaire et une symbolique politique telle, qu'aujourd'hui encore elles parlent de modernité. Ces œuvres exposées tout au long de l'année au Louvre, trouvent dans ce nouvel accrochage un point de vue différent. La scénographie modifie la perception de ces tableaux comme une expérience sensorielle, une invitation à la redécouverte. Dans la facture des œuvres, Eugène Delacroix traduit sa quête esthétique du vrai. 

En déstructurant la composition, il cherche à saisir le moment, rendre le chaos et la furie, quitte à ne pas respecter les règles académiques de perspective. "Les Massacres de Scio" (1824), "La Liberté guidant le peuple" (1830), "La Mort de Sardanapale" (1827), tableau si grand qu'il n'a pas été déplacé pour rejoindre l'exposition et demeure dans la salle Mollien du Louvre, procèdent tous de la même forme de démesure. Les toiles monumentales permettent de reproduire les figures à l'échelle. La densité du mouvement peint dans un espace réel devient illusion du vrai dans sa vie palpitante, son tumulte. 










De janvier à juillet 1832, Eugène Delacroix se joint à la mission diplomatique du Comte de Mornay auprès du Sultan du Maroc, Moulay Abd er-Rahman. Aquarelles, dessins, carnets de voyage racontent l'orientalisme romantique du peintre qui s'incarnera plus tard dans un célèbre tableau Les Femmes d'Alger dans leur appartement (1834). Le travail de Delacroix est tourné vers l'expressivité. Il cherche à exprimer la terreur de la mort, la cruauté de la nature ou la lascivité des nus à l'érotisme discret. La peau des femmes, le pelage des animaux, la moire des étoffes, sa peinture est une invitation des sens.

Peu doué pour les mondanités et les ronds de jambe susceptibles de lui accorder les faveurs des personnes bien placées, Eugène Delacroix ne possède pas cet entregent nécessaire aux promotions sociales. Sa réputation d'orgueilleux à l'esprit indépendant ne lui facilite pas la tâche mais à force de persévérance dans les cercles politiques, il parvient à se faire attribuer de nombreuses commandes publiques à partir de 1833. Certaines de ses réalisations les plus importantes se trouvent sur les murs et plafonds du Palais Bourbon, notre actuelle Assemblée nationale (en 1833 et 1838), du Sénat ou encore de l'église Saint-Sulpice (de 1849 à 1861) qui de ces institutions possède les trois seules œuvres réellement accessibles au public. 









Vers 1848, Eugène Delacroix se met à peindre des fleurs, des bouquets exubérants dans une veine décorative qui sous son pinceau tourne curieusement à l'expérience morbide, étouffante. Il lui faudra attendre 1855 et l'Exposition universelle où il présente trente-cinq toiles dont une remarquée "Chasse aux lions", pour connaître la consécration qu'il a toujours attendu, soutenu par Charles Baudelaire et Théophile Gautier. Le 10 janvier 1857, il est enfin élu à l'Institut de France, après sept candidatures infructueuses férocement repoussées par Ingres mais il n'obtient pas la charge de professeur à l'Ecole des Beaux-Arts qu'il attendait.









Agnostique voire athée, Eugène Delacroix s'intéresse aux thèmes sacrés dans des tableaux où la piété semble plutôt s'effacer face aux émotions. Angoisse, accablement, les peintures douloureuses, cruelles se rapprochent des clair-obscur du Caravage alors que les formes se dissolvent dans le mouvement de la touche. Le Christ au tombeau, du musée de Boston, Les deux Christ à la colonne d'Ottawa et Dijon, les trois versions du Christ sur le lac de Genesareth (Tibériade) soulignent cette recherche de dramaturgie.  A la fin de sa vie, le peintre réalise des paysages enchanteurs, presque naïfs dont la mélancolie contraste avec la violence des débuts.

Delacroix (1798-1863)
Jusqu'au 23 juillet 2018

Musée du Louvre
Horaires : De 9h à 18h le lundi, jeudi, samedi et dimanche - De 9h à 21h45 le mercredi et le vendredi - Fermé le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.