Dans sa villégiature estivale, Natalia Petrovna, femme fantasque et capricieuse s'ennuie malgré la présence de sa belle-mère, de Lizaveta et de tout une cour de cyniques, amis de la famille, et de Micha Rakitine, poète au cœur noble, avec qui elle entretient une amitié ambiguë. Depuis toujours, il est épris d'elle sans espoir. Pendant ce temps, le mari de Natalia, Arkadi Islaïev riche propriétaire terrien, entrepreneur, a la tête plus aux affaires qu'à son épouse. Leur fils, Kolia, dix ans, passe de très bonnes vacances sous la surveillance de son tuteur Alekseï, étudiant d'un milieu modeste, sportif bien élevé. Natalia s'éprend brusquement d'Alekseï de dix ans son cadet et souffre de la complicité entre Vera, sa pupille de dix-sept ans et le jeune homme.
Pièce vénéneuse, élégante et cruelle, Un mois à la campagne explore le vertige amoureux, ces élans, ces folies aussi mystérieuses que soudaines. Tandis que le mouvement des cœurs et le tourment des âmes s'incarnant dans des personnages ciselés, Tourgueniev interroge le mal-être de la bonne société, l'asphyxie des êtres tout en résignation et insatisfaction. Pour l'auteur, l'amour est une expérience mystique. Les passions impossibles, les sentiments avortés, les tensions cachées, la sensualité réprimée, comme autant de déchirures suggérées font vibrer d'électricité la pièce, traduisant quelque chose d'indicible de l'âme slave.
Toute l'oeuvre d'Ivan Tourgueniev semble se nourrir de sa propre histoire personnelle. Dans le personnage de Natalia, l'auteur convoque la silhouette de Pauline Viardot, mezzo-soprano, rencontrée en 1843 alors qu'elle interprétait Rosine au Théâtre italien de Saint Petersburg. Eperdument amoureux d'elle, Tourgueniev demeurera auprès d'elle jusqu'à sa propre mort, s'invitant dans l'intimité du couple, sans que cela semble indisposer le mari de Pauline.
Au théâtre Déjazet, la pièce Un mois à la campagne est présentée dans une nouvelle traduction et adaptation par Michel Vinaver qui a cherché à restituer les nuances infinies et la musicalité des mots de Tourgueniev. Oeuvre dramatique délicate et hardie, les sonorités et le rythme y sont essentiels pour retransmettre cette grâce colorée, alternance d'échange entre les personnages et de récit. Emotions, rires, répliques mordantes, dans une mise en scène qui tend vers l'épure Alain Françon souligne avec subtilité la diversité et la finesse de chaque personnage.
Très convaincants, les comédiens à fleur de peau apportent à la pièce mille nuances. Dans le rôle de Natalia, coquette désabusée, sorte de Madame Bovary avec du caractère, Anouk Grinberg, gracile et malicieuse, succombe à cette inclination soudaine, la combat, se rebelle, résiste et se laisse aller. Digne face à la cruauté de Natalia, dévoré par un amour fou, entre amertume et fièvre, Micha Lescot incarne avec une élégance douloureuse, un Rakitine tout en retenue. Guillaume Levêque, Arcadi le mari distrait, est assez savoureux tandis que Nicolas Avinée (Alekseï) et India Hair (Vera) font preuve d'un beau naturel, d'une fraîcheur charmante.
Un mois à la campagne, de Ivan Tourgueniev
Traduction et adaptation de Michel Vinaver
Mise en scène Alain Françon
Avec Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Côte, Catherine Ferran, Philippe Fretun, Anton Froehly, Anouk Grinberg, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Lévêque
Du 9 mars au 28 avril 2018
Du lundi au samedi à 20h30
Théâtre Déjazet
41 boulevard du Temple - Paris 3
Tél : 01 48 87 52 55
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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