Le Carrefour Curie, au débouché rive gauche du Pont-Neuf, quai de Conti, est un curieux ensemble de bâtiments qui ouvre en l'enjambant sur la rue de Nevers, l'une des plus étroites de Paris. Inaugurée en 1932, cette combinaison de trois immeubles d'habitations est l'œuvre de l'architecte Joseph Marrast (1881-1971). On lui doit notamment le palais de justice et la place de France (actuelle place Mohammed V) à Casablanca pour le cabinet Henri Prost, datant de 1915-20 et le siège de la BNP, 16 boulevard des Italiens, réalisation monumental Art déco courant babylonien, de 1931. Chantier d'envergure de l'entre-deux-guerres, le Carrefour Curie a vu le jour en même temps que son vis-à-vis, la Samaritaine signée par Henri Sauvage. Son architecture d'inspiration Louis XIII, marquée par l'utilisation de la brique et la pierre, rappelle celle des immeubles du début du XVIIème siècle, situés à l'entrée de la place Dauphine. Ce souci de cohérence esthétique est emblématique de l'oeuvre de Joseph Marrast, très tôt engagé dans ce projet. Un peu d'histoire si vous le voulez bien.
De 1922 à 1928, la Mairie de Paris rachète tous les immeubles construits à l'entrée du Pont Neuf côté rive gauche dans l'idée d'aménager une nouvelle place baptisée en hommage à Pierre Curie qui a trouvé la mort en 1906 renversé par une voiture hippomobile rue Dauphine. La Ville fait appel à Joseph Marrast, fraîchement rentré du Maroc pour développer des projets de reconstruction du site. Les propositions de l'architecte prennent alors en compte les modifications de voirie originellement pressenties, à savoir un élargissement de la rue Dauphine tracée en 1607 dans l'axe du Pont Neuf et le prolongement de la rue de Rennes jusqu'à ce dernier que le baron Haussmann envisageait déjà dans ces plans d'aménagement laissés en suspens.
Deux des projets présentés par Marrast en 1923 et 1926 prévoient de construire un ensemble de bâtiments enjambant la nouvelle rue Dauphine tandis qu'un troisième proposition datant de 1925 propose la création de trois blocs séparés entre les rues. Le plan symétrique définitif, enjambant seulement la rue de Nevers, est tracé autour d'un arc de cercle. Lorsque l'idée d'une modification de la voirie est abandonnée, les constructions conservent la trace de cette courbe.
En 1930, après la démolition des immeubles présents sur le site, la Mairie de Paris revend le lotissement à la Société immobilière Dauphine dirigée par Lucien Cougy. Joseph Marast est confirmé pour mener à bien l'édification des trois immeubles reliés par un corps central. Il doit alors résoudre des difficultés esthétiques en faisant en sorte d'intégrer le plus naturellement possible les nouvelles construction dans un cadre comprenant le débouché du Pont Neuf, les bâtiments Louis XIII de l'entrée de la place Dauphine, le passage au-dessus de la rue de Nevers. Pour Joseph Marrast l'idée est de "rester dans l'harmonie de ce site, peut-être la compléter, l'intensifier ou la nuancer, mais sous aucun prétexte ne la rompre par une note discordante".
L'ensemble du Carrefour Curie, toits couverts de tuiles, hautes fenêtres, frontons maigres, façades de pierre et de brique mais structure de béton armé, bien que d'époque Art déco s'inspire donc de l'architecture du début du XVIIème siècle. Les trois parties d'immeuble avec boutiques et loge de gardien au rez-de-chaussée forment un ensemble cohérent. La première partie est orienté vers le quai des Grands-Augustins et la rue Dauphine, la deuxième entre la rue Dauphine et la rue de Nevers et la troisième entre la rue de Nevers et la rue Guénégaud. La dernière partie est alors scindée en deux, une moitié étant la propriété de la Société immobilière Dauphine, la seconde de Lucien Gougy.
Joseph Marrast fait appel au sculpteur Carlos Sarrabezolles pour créer le fronton en arc de cercle qui orne le bâtiment central. L'artiste réalise une fresque allégorique, A la gloire de Paris ou La gloire de la Seine, représentant la Seine et / ou Paris et quatre centaures chargés de symboles de la ville. A cette occasion, Carlos Sarrabezolles emploie un procédé délicat qu'il a inventé, celui de la technique taille directe dans le béton en prise, la sculpture sans maquette dans le béton frais, qui nécessite une grande virtuosité et une maîtrise parfaite du sujet.
En 1932, le Carrefour Curie est inauguré. Avec ses allures Louis XIII, il est aujourd'hui l'une des curiosités architecturales parisiennes les plus visuellement intrigantes.
Carrefour Curie
1 quai de Conti - 1 rue de Nevers - Paris 6
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Le guide du promeneur 6è arrondissment - Bertrand Dreyfuss - Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Les Éditions de Minuit
Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments - Félix et Louis Lazare
Sites référents
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