Le passage Brady, avec ses airs de bazar indien, fait les délices des Parisiens en mal de dépaysement. Réputé pour ses restaurants, ce passage couvert atypique s'ouvre au voyage des sens dans les parfums d'épices et d'encens. Malgré la présence d'une importante communauté pakistanaise, à laquelle se mêlent sri-lankais, réunionnais et mauriciens, il est surnommé Little India. Outre les cantines indiennes, les commerces du passage jouent la carte du folklore épanoui. Echoppes ayurvédiques, épiceries de produits exotiques côtoient institut de beauté traditionnel, salons de coiffure, barbiers. Les boutiques de vêtements proposent saris colorés, penjabis modernes, étoles. Les magasins de décoration lorgnent du côté des arts de la table, du linge de maison, des objets d'artisanat. Populaire et charmant aujourd'hui, le passage Brady a connu quelques heures sombres avant de renaître de ses cendres. Un peu d'histoire si vous le voulez bien.
Passage Brady 1920 - Crédit Charles Lansiaux - Robert Viollet |
Au début des années 1820, M. Brady, un commerçant installé au 46 du faubourg Saint Denis, forme un ambitieux projet de passage couvert, le plus long de Paris. Il imagine un véritable petit village constitué de cent-treize boutiques avec logements à l'étage. Brady s'associe avec M. Briavoine, un négociant et les travaux débutent en 1825, année du sacre de Charles X. La galerie marchande doit s'étendre de la rue du Faubourg Saint Denis à la rue du Faubourg Saint Martin. D'important capitaux sont investis dans ce projet immobilier qui est possiblement lié à celui du passage de l'Industrie comme semblerait l'indiquer la double entrée de nombreux magasins.
En cours de travaux, les promoteurs renoncent à couvrir l'ensemble du passage. L'obligation de conserver des constructions préexistantes modifie le plan initial rectiligne. La partie Ouest couverte et celle à l'Est à ciel ouvert ne sont pas parfaitement alignées. L'irrégularité du tracé est alors compensée par la construction d'une rotonde au point de déviation qui marque alors la jonction entre les deux tronçons.
Le passage Brady est inauguré le 15 avril 1828. A l'origine, s'y trouvent cabinets de lecture, boutiques à vocation élégante et même un établissement de bain. Mais le passage peine à trouver sa clientèle. Très vite passé de mode, victime des échecs commerciaux, la situation se dégrade. Dès 1834, la confection et la maroquinerie classiques ont fait place aux friperies, aux échoppes douteuses.
En 1852, le passage Brady est victime des grands travaux haussmanniens. Le percement du boulevard de Strasbourg qui prolonge le boulevard Sébastopol l'ampute de sa partie centrale et fait disparaître la rotonde. La galerie couverte prend alors ses mesures actuelles 216 mètres de long et 3,5 mètres de large. Définitivement séparé du passage couvert, la portion à ciel ouvert se développe en ruelle autonome.
Le passage Brady est alors doté de deux entrées au caractère très différent. Côté Faubourg Saint Denis à l'Ouest, la placette octogonale est surmontée d'une verrière en dôme. Le sol était couvert à l'origine d'une mosaïque. Côté est sur boulevard de Strasbourg, la verrière visible en façade donne un effet très industriel à l'entrée dans un dispositif unique pour un passage couvert parisien.
De 1890 à 1896, le passage Brady accueille un rendez-vous artistique et festif. Chaque mois, les peintres Nabis se retrouvent à L'Os à Moelle. Paul Sérusier, le Nabi à la barbe rutilante, Pierre Bonnard, le Nabi très japonard, Maurice Denis, le Nabi aux belles icônes, Auguste Cazalis, le Nabi Ben Kallyre c’est-à-dire à la parole hésitante, dînent chez Cabouret. Chacun doit apporter une icône qui sera le sujet des discussions.
En 1976, M. Antoine Ponnoussamy, originaire de Pondichéry, ouvre passage Brady la première épicerie indienne, l'épicerie Mourougan qui est toujours en activité sous le nom d'épicerie Velan puis un premier restaurant le Pondichéry en 1980, faisant de la galerie un point de rendez-vous de la communauté indo-pakistanaise. Intéressé par l'atmosphère singulière du lieu, Roman Polanski y tourne en 1987 une scène de son film Frantic.
Peu à peu le passage se dégrade. Il n'est pas entretenu faute d'accord entre les copropriétaires. Ouvert même la nuit, le commerce de la drogue et la prostitution s'y développent. Dès les années 1990, des hôtels douteux ouvrent leurs portes et des marchands de sommeil logent des familles entières dans des conditions précaires.
Sans qu'une réhabilitation soit à l'ordre du jour, le passage Brady est classé au titre des Monuments historiques par arrêté du 7 mars 2002, classement qui protège dès lors porche, clôture, verrière, grille d'immeuble, sols et façades dont les parties supérieures ont conservé quelques éléments Art déco.
En novembre 2007, un incendie important se déclenche dans des logements dégradés. Il fait cinq victimes. A la suite de ce terrible accident, les contrôles sont renforcés. Les hôtels sont dans l'obligation d'effectuer des travaux de remise aux normes. Les marchands de sommeil quittent le passage.
Avec l'élection d'un nouveau syndic qui met d'accord les copropriétaires, le passage Brady peut entamer sa renaissance. Les terrasses anarchiques des restaurants sont réduites, des caméras de sécurité installées et un gardien engagé. Les grilles du passage sont fermées à partir de 23 h 30 pour préserver le calme et la propreté du lieu. Dès 2009, les fonds sont réunis pour envisager une profonde rénovation. La phase de travaux débute en 2013 avec une réfection importante des murs et des sols. Néanmoins, contrairement au plan initial, les carrelages et mosaïques ne retrouvent pas exactement leur splendeur historique. Les réparations de la verrière ont certainement englouti la majeure partie du budget. Aujourd'hui, beaucoup d'éléments ayant été traités, le projet de restitution des façades et devantures de boutique dans leur conformation d'origine semble en suspens.
Passage Brady - Paris 10
Accès partie couverte 46 rue du Faubourg Saint-Denis et 33 boulevard de Strasbourg
Accès partie à ciel ouvert 20 boulevard de Strasbourg et 43 rue du Faubourg Saint-Martin
Métro Strasbourg Saint Denis, lignes 4, 8, 9 / Château d'eau ligne 4
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Bibliographie
Paris et ses passages couverts - Guy Lambert - Editions du Patrimoine - Centre des Monuments Nationaux
Passages couverts parisiens - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Parigramme
Le guide du promeneur 10è arrondissement - Ariane Duclert - Parigramme
Sites référents
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