Paris : Passage National, réminiscence contrastée du XIXème siècle dans un quartier réinventé dans les années 1960 - XIIIème



Le passage National présente des caractéristiques assez semblables au passage Bourgoin dont je vous parlais ici. Néanmoins, sa largeur plus importante, 15 mètres contre 2,5 mètres, l'a ouvert à la circulation des voitures. L'organisation du bâti y est plus ordonnée, les maisons originellement moins modestes. Les édifices sur deux niveaux sont implantés sur des parcelles aux configurations régulières, allongées d'est en ouest, typiques des anciennes exploitations viticoles. Le long de la rue National, dans le XIIIème arrondissement, impasses et passages conservent le souvenir des derniers jardins ouvriers de Paris. Au cœur de ce curieux quartier composite entre vestiges des constructions du XIXème siècle et modernité des tours, surgissent des petits coins de campagne préservés au milieu des bétonnades vertigineuses. Cet étonnant contraste, confrontation de deux héritages, crée des atmosphères singulières. Un peu d'histoire, si vous le voulez bien.










Vers 1850, le quartier de la Gare n'est alors qu'un Coteau d'Ivry planté de vignes où se trouvent les vestiges des carrières crayères abandonnées. Ces terres agricoles vont se métamorphoser avec l'implantation du chemin de fer et la mise en service dans les années 1840 de la ligne de Paris-Austerlitz à Bordeaux-Saint-Jean par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans. De 1840 à 1860, l'arrivée massive d'une nouvelle population venue travailler à Paris pousse les investisseurs à racheter les terres viticoles pour les lotir et revendre les parcelles. L'urbanisation progresse le long de la rue Nationale dont l'aménagement est terminé en 1848. 

Lors de l'annexion à la Ville de Paris en 1860, ce nouveau quartier a pourtant encore des allures champêtres. Champs et pâtures sont largement exploités. Les vestiges des carrières à ciel ouvert ont été reconvertis en champignonnières. Ces terrains à bas prix attirent les industries. En 1873 la société Perin-Panhard s'installe le long du futur boulevard Masséna. Les ateliers du chemin de fer d'Orléans se développent le long de la rue du Chevaleret. 










Les bicoques construites jusque-là à l'intention des ouvriers sont des plus modestes, les conditions sanitaires assez préoccupantes. Tandis que rue Jeanne-d'Arc et rue de Tolbiac les travaux d'Haussmann font dans la pierre de taille, les populations ouvrières occupent des logements qui vont du pavillon bricolé au bidonville le long des fortifications de Thiers. Les oeuvres à caractère sociale se développent pour venir en aide aux habitants. 

Après la Première Guerre Mondiale, les projets d'urbanisme fleurissent pour réinventer l'arrondissement qui deviendra, et demeure de nos jours, un terrain d'expérimentation architecturale. Destruction de l'enceinte de Thiers, construction de HBM, d'équipements sportifs, la ville moderne se cherche dans le XIIIème. 

Les grands travaux des années 1960 vont changer la donne. Si le dessein original était de raser une grande partie des quartiers les plus dégradés de Paris, les directives des années 1970 refréneront ces velléités, sauvant par exemple le Marais. Cependant, dans le XIIIème arrondissement, le long de la rue Nationale, les petits immeubles n'échappent pas à la tabula rasa. Dans le cadre de l'opération dite des Deux-Moulins, tout le quartier est détruit pour faire place à des ensembles de tours et d'immeubles de grande hauteur répondant aux idées de Le Corbusier. En 1975, le quartier des Olympiades voit le jour.










Miraculeusement préservé, le passage National a été classé voie publique par arrêté du 2 février 1953. Il se déploie sur une longueur de 154 mètres, parallèle au passage Bourgoin. Nommé d'après la rue dans laquelle il débouche, dont la dénomination elle-même rend hommage à la Révolution de 1848, il s'appelait précédemment passage Crevaux probablement en hommage au Dr Jules Crevaux (1847-1882). Ce médecin militaire français, explorateur au XIXème siècle de la Guyane, est une personnalité controversée du fait de méthodes plus que contestables auprès des populations indigènes.

Passage National, l'esthétique architecturale des bâtiments fortement contrastée s'explique par l'amplitude temporelle des constructions, les plus anciennes bâtisses datant de 1850 et les plus récentes des années 1980. La configuration dissymétrique s'établit le long de la rive Nord sur un alignement du bâti interrompu par des cours ouvertes sur la rue, aux dimensions variables. Rive Sud seule la partie Ouest, du numéro 3 au 9, vient rompre l'alignement du fait de parcelles profondes dégageant de larges jardins privés qui s'ouvrent sur le passage. Au numéro 12, un pavillon datant de 1920 a été repeint en rouge et pris le nom de Maison Rouge, chambres d'hôtes. Au 16, une église chrétienne chinoise dispense, le dimanche, le culte en chinois et français. Au 19, la bâtisse a été réalisé par les architectes de l'Atelier A9 en 1985.

Coincé entre deux opérations récentes de réaménagement urbain, Paris Rive Gauche et la ZAC Château des Rentiers, le passage National a échappé une nouvelle fois aux projets d'urbanisme pharaonique grâce à l'association de quartier Inter-Nationale Bourgoin dont l'engagement a permis d'obtenir la création d'un secteur de zone UL lors de la révision générale du Plan d'Occupation des Sols approuvée en 1989. En 1991, la modification du POS abaisse les coefficients d'occupation des sols et limite le nombre de niveaux des constructions à trois niveaux. Et c'est ainsi que la résistance des riverains a permis de sauvegarder les vestiges charmants d'un temps passé.

Passage National - Paris 13
Accès 25 rue du Château-des-Rentiers - 20 rue Nationale



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 13è arrondissement - Gilles-Antoine Langlois - Editions Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit

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