Cinéaste torturé, Ismaël soigne ses cauchemars en combinant whisky et cachets. Il passe ses nuits d'insomnie à travailler sur le scénario d'un thriller d'espionnage inspiré par la vie de son frère, diplomate dans les régions les plus troublées de la planète et qu'il a renommé pour les besoins du film Ivan Dédalus. Plongé dans les affres de la création, il s'est isolé sur l'île de Noirmoutier avec sa compagne Sylvia, astrophysicienne idéaliste et solitaire. Les soirées ne sont troublées que par les appels de Bloom, son mentor en cinéma et père de Carlotta, sa première épouse disparue sans laisser de traces il y a plus de vingt ans. Inconsolable, le vieil homme malade, rongé par le chagrin est hanté par le souvenir de sa fille et la mémoire de la Shoah. Alors qu'Ismaël, malgré le deuil impossible, semble avoir trouver un certain équilibre auprès de Sylvia, Carlotta resurgit et exige de retrouver sa place à ses côtés.
A travers cette histoire de mystérieux retour et de spectres, Arnaud Desplechin sonde la vérité des existences dans les tourments amoureux et existentiels. Film ambitieux, à la frontière du fantastique, Les fantômes d'Ismaël puisent ses références dans la littérature et le cinéma mais également la psychanalyse, religion, l'histoire de l'art. La Bible, Homère, Shakespeare, James Joyce, Lavender Mist de Jackson Pollock, le Vertigo d'Alfred Hitchcock s'entrecroisent comme autant de pistes susceptibles d'éclairer le puzzle de la trame morcelée.
Desplechin mène de front plusieurs intrigues comme autant de segments narratifs qui se télescopent pour évoquer le morcellement, la décomposition du cours de la vie. Dans une mise en abyme qui renvoie à la propre oeuvre, il s'amuse à recomposer sa mythologie personnelle, manipulant l'idée de double de fiction. Ismaël est l'auteur de films à caractère autobiographique, notamment Comment je me suis disputé et Trois souvenirs de ma jeunesse dont le personnage principal est Paul Dédalus. L'occasion pour le réalisateur de déployer autour de la trame romanesque l'un de ses thèmes familiers avec beaucoup d'autodérision et un humour noir piquant, à savoir les difficultés de l'artiste qui créé.
Le film baigne dans une atmosphère étrange d'incertitude inquiétante qui prend sa source dans l'interpénétration du réel et de la fiction. La vie d'Ismaël est chamboulée par les spectres du passé qui contaminent le présent l'empoisonnant par les regrets, les remords. Alors que le fantôme s'immisce dans le couple, recréant la base du triangle amoureux où s'expriment la cruauté et la violence, des questions demeurent en suspend : Pourquoi Carlotta a-t-elle disparue ? Pourquoi est-elle revenue ?
L'architecture singulière, le rythme déroutant, l'effet de théâtralité, la légère fausseté qui souligne l'impression de décalage ajoutent au trouble. La dimension spectrale, cauchemardesque fait culminer les angoisses tandis que le doute sur le vacillement d'Ismaël qui semble perdre la raison est permanent. La confusion s'exerce de façon insidieuse alors que l'équilibre fragile se rompt et que le héros bascule dans des crises maniaques surmontées dans une forme d'énergie du désespoir.
Les fantômes d'Ismaël doit beaucoup à l'interprétation soulignée par des monologues face caméra. Charme lumineux, Marion Cotillard est à fleur de peau tandis que Charlotte Gainsbourg d'une belle simplicité incarne une rêveuse très touchante. Mathieu Amalric n'est pas en reste et nous réserve de beaux moments expressifs. Hippolyte Girardot est jubilatoire dans son rôle de producteur flamboyant
La mort, l'amour, le chagrin, la folie, les terreurs intimes, Les fantômes d'Ismaël est un film esthétiquement très beau, profond, un peu bancal aussi mais tout à fait singulier.
Les fantômes d'Ismaël de Arnaud Desplechin
Avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg, Louis Garrel, Hippolyte Girardot, Alba Rohrwacher, Laszlo Szabo
Sortie le 17 mai 2017
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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