Lundi Librairie : Pétronille - Amélie Nothomb



Pétronille - Amélie Nothomb : La fantasque Amélie, romancière à succès, voue une passion au champagne, nectar divin dont elle estime que la dégustation devrait être élevée au rang d'art. Mais elle n'aime pas boire seule. Lorsqu'elle s'installe à Paris, elle se met en quête d'une complice d'ivresse. Lors d'une dédicace dans une librairie, elle fait la connaissance de Pétronille jeune femme d'un milieu modeste aux allures de garçon et au caractère bien trempé, spécialiste de la littérature élisabéthaine, Shakespeare et Marlowe en tête. Intriguée par ce personnage en marge, sa morgue insolente et sa drôlerie, Amélie lui propose d'aller sabrer le champagne. Après cette première rencontre et quelques échanges épistolaires, elles se perdent de vue. La publication du premier roman de Pétronille, Vinaigre de miel, est l'occasion de retrouvailles. Elles deviennent inséparables et font les quatre cents coups. 

A travers ce court récit caracolant, conte moderne pétillant, Amélie Nothomb célèbre l'amitié au féminin tout autant que son breuvage de prédilection. Paris y est une fête et la vocation d'écrivain un sacerdoce. "La France est ce pays magique où le plus commun des troquets peut vous servir n'importe quand un grand champagne à température idéale." Elle met en scène sa propre vie avec l'élégance délurée de l'autofiction joyeusement allumée par les bulles de champagne.

Ode poétique à la saoulographie qui m'a fait penser à l'art des seigneurs d'Un singe en hiver de Blondin et à la célèbre tirade de Jean Gabin dans le film de Henri Verneuil, Pétronille possède les qualités euphoriques de l'ivresse et la joie frémissante des égarements éthyliques. "Boire en voulant éviter l'ivresse est aussi déshonorant que d'écouter de la musique sacrée en se protégeant contre le sentiment du sublime."

Situations burlesques, saynètes piquantes se multiplient avec comme seul mot d'ordre faire fi de la modération et de la prudence. La loufoquerie admirable dont fait preuve l'auteur pour décrire les situations improbables est un délice. A Acariaz, station de sports d'hiver au nom délectable, les deux romancières dévalent les pentes bouteilles à la main. Une interview de Vivienne Westwood, à Londres, tourne court lorsque la reine du punk acariâtre exige d'Amélie qu'elle aille promener son chien Beatrice. La visite chez les parents communistes de Pétronille dans leur pavillon de Bobigny et la scène à l'hôpital Cochin sont à l'avenant.

Alors qu'Amélie Nothomb pose son double romancé gentiment lunaire dans l'autodérision, elle donne à Pétronille Fonta qui est celui de Stéphanie Hochet plus de reliefs. Ces zones d'ombre distillent des touches subtiles à travers la comédie. Les rapports amicaux troubles, ambigus sont de l'ordre de l'amitié amoureuse. La rencontre de deux milieux opposés, la confrontation sociale et créatrice, le succès de l'une alors que l'autre peine à être reconnue sous-tendent une forme de jalousie que les errances du monde de l'édition renforcent.

Il y a de la magie voluptueuse dans les excès de l'auteur pour qui s'enivrer procède de la transe et du rituel d'émerveillement. Une délectation communicative qu'il est savoureux de partager avec Amélie Nothomb. Comme dit si bien Baudelaire : Sans mors, sans éperons, sans bride / Partons à cheval sur le vin / Pour un ciel féérique et divin !

Pétronille - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Edition de poche Le Livre de Poche



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.