A la fin des années 90, suite au décès de sa sœur, Louisa, Marie Altman, septuagénaire élégante et étonnante, issue d’une famille juive de la haute bourgeoise viennoise exilée aux Etats-Unis après l’arrivée des Nazis en Autriche en 1938, réalise qu’elle peut récupérer cinq tableaux de Klimt ayant appartenu à son oncle, Ferdinand Bloch-Bauer, dont la célèbre « Joconde d’Autriche », le « portrait doré », représentant sa très jolie tante Adèle. Elle s’adjoint les services d’un jeune avocat peu charismatique mais besogneux, ami de sa famille, lui-même petit-fils d’exilés juifs-autrichiens, Randol Schoenberg. D’abord septique et intéressé par l’argent, Schoenberg est convaincu par Maria qui lui raconte l’histoire de sa famille, et la période troublée qui l’a conduite à l’exil et à la chute de son illustre lignée. Lancés dans une bataille juridique pour la restitution des œuvres spoliées face au gouvernement autrichien qui se refuse, par le biais d’une commission de restitution, et avec mauvaise foi, à un quelconque dialogue, Schoenberg porte l’affaire devant la Cour Suprême grâce à un testament retrouvé en Autriche par un journaliste autrichien, Hubertus Czernin. Une lutte oratoire s’ouvre alors sur le bienfondé de la demande de Maria Altman pour la récupération des biens volés basée sur le devoir de mémoire envers sa famille et non pour une simple question d’argent.
Simon Curtis, après le très délicat My Week With Marilyn, nous offre un film basé sur une histoire réelle et qui a fait l’objet de nombreux articles et documents, celle de Maria Altman. De facture très classique, Le Femme au tableau est aussi intéressant qu’il peut être fade. Le jeu des acteurs principaux, Helen Mirren et Ryan Reynolds fait que le film arrive à émouvoir et à faire réfléchir.
Cependant, les personnages sont un peu trop caricaturaux – Daniel Brühl en viennois expiant les fautes de son père en est l’archétype, comme la femme de Reynolds, Katie Holmes, qui ne possède qu’une moue datant de sa période Dawson – et l’ennui peut saisir parfois, çà et là. Les révélations psychologiques et la carte du mélodrame sont aussi trop appuyées par endroit.
Pourtant, il serait dommage de passer à côté des scènes de reconstitution du Vienne des années 10/20/30. Les costumes, les décors et l’imperceptible montée du nazisme sont ici excellemment restitués. Ce film vaut justement pour ces flash-backs qui expriment beaucoup plus que les livres d’Histoire ou autres articles sur la période. Comment l’une des communautés les plus importantes dans l’essor de l’Empire d’Autriche-Hongrie, la communauté juive, a été abandonnée et forcée soit à l’exil, en cédant ses biens, soit envoyée dans des camps ?
La Femme au tableau est la preuve visible de cette partie de l’Histoire peu évoquée encore – même le récent film, cocasse, The Monument Men en avait effleuré une page - : la spoliation des œuvres d’Art pendant la seconde Guerre Mondiale. Des millions d’œuvres ont été pillés dans chaque pays d’Europe conquis par le IIIe Reich puis donnés aux dignitaires (comme le collier de la fameuse tante Adèle porté sur le tableau) ou aux musées amis.
Le film pose donc, de façon trop académique malheureusement, de nombreuses questions sur le vol en temps de guerre, la « réparation faite aux familles meurtries », le devoir de mémoire et la définition d’une œuvre d’art.
En effet, tout le monde évoque, dans ce film, la valeur marchande du tableau –qui sera acheté par la Neue Gallery de New York appartenant à Ronald S. Lauder, fils d’Estée, magnat de la cosmétique- pour 135 millions de dollars, mais tout le monde, ou presque, oublie l’idée essentielle : ce tableau est avant tout une œuvre d’art d’un peintre reconnu et, par là même, inestimable.
L’art ne peut se définir que par l’argent. Une œuvre peut être banale mais précieuse pour quelqu’un et complétement anodine pour une autre. Dans le cas présent, il représente la tante adorée d’une petite fille qui vivait heureuse dans son pays, sa ville et au sein de sa famille et qui a tout perdu, ou presque, en un claquement de doigt. Maria Altman ne voit dans ce tableau que le souvenir qui lui procure.
Helen Mirren, impeccable en vieille dame un peu excentrique et intraitable, et Ryan Reynolds, sobre, fade, malgré qu’il soit trop new yorkais dans son allure pour un pur californien, sont le duo parfait de ce film. Les seconds rôles sont parfaits (notamment la magnétique Antje Traue qui interprète Adèle Boch-Bauer, Max Irons en Fritz Altman, le mari de Maria et Tom Schilling en « petit » lieutenant nazi aveuglé –toujours irréprochable) et les décors lumineusement beaux.
Reste que ce film est un peu trop lisse par moments et n’est pas à la hauteur de l’histoire réelle de Maria Altman qui nous dit à travers sa vie qu’il ne faut jamais rien lâcher même quand tout va mal. Il se laisse néanmoins –et heureusement - regarder par la qualité de son interprétation et par la force de l’Histoire.
Pour la petite histoire, cette fois, le portrait d’Adèle Bloch-Bauer, peut être admiré à la galerie Neue à New York ; Le deuxième fait par Klimt peint en 1923 est visible au MOMA. Et si cette histoire vous passionne, regardez le magnifique documentaire allemand que j’avais vu il y a quelques années, réalisé en 2006 par Jane Chablani et Martin Smith intitulé « L’affaire Klimt ».
La Femme au tableau
Réalisateur : Simon Curtis
Avec Helen Mirren, Ryan Reynolds, Daniel Brühl, Katie Holmes, Max Irons, Charles Dance
Sortie : 15 juillet 2015
Lisa Giraud Taylor est écrivain, photographe et blogueuse. Son roman Liverpool Connexion est disponible aux Editions Trinômes. Vous pouvez également retrouver sa plume piquante sur Le blog d'une ItemLiz Girl. Cette jeune femme hyperactive - mais comment fait-elle ? - collabore avec les webzines Lords of Rock et So Busy Girls où elle nous régale de chroniques pleines d'esprit, ultra punchy dans un style bien à elle. Humour ravageur et pertinence sont ses marques de fabrique.
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