Oona et Salinger - Frédéric Beigbeder : New York, 1940. Oona O’Neill, héritière la plus courtisée du gotha, fille du dramaturge, Nobel de littérature, Eugene O’Neill, passe les nuits de ses 15 ans dans des clubs branchés, noyés dans la fumée de cigarette et les vapeurs d’alcool. Un soir au Stork en compagnie de Gloria Vanderbilt, Carol Marcus et Truman Capote, Oona est abordée par un jeune homme dégingandé, maladivement timide mais sous le charme de la gracieuse ingénue. Il s’agit de Jerry Salinger, futur auteur du roman culte L’Attrape-cœur, 21 ans, vivant encore chez ses parents, pressé de voir ses premières nouvelles éditées dans le New York Times. L’été suivant, ils se revoient et nait alors entre eux une idylle chaste. Mais les Etats-Unis entrent en guerre, Salinger se porte volontaire et part en Europe tandis qu’Oona s’envole pour la Californie avec des rêves hollywoodiens. Elle rencontre Charlie Chaplin de 36 ans son aîné. Ils se marient en 43 et auront huit enfants.
Frédéric Beigbeder, dont on connait la passion pour J.D Salinger, imagine l’échange épistolaire entre les deux jeunes gens. Pour elle, l’insouciance de la jeunesse dorée, pour lui l’horreur du quotidien, le Débarquement, la libération des camps ou encore sa rencontre en 44 au Ritz, avec Hemingway alors reporter de guerre. Cette correspondance fictive entre Oona et Salinger fait référence à la correspondance qui existe réellement mais que la famille Chaplin ne souhaite pas rendre publique. A défaut d’y avoir eu accès, Beigbeder l’a réinventée, jouant sur les tableaux du mythe Salinger, la légende de l’écrivain, personnage romanesque par excellence, entre réalité amplifiée et fiction. Cette évocation très documentée des années 40 à New York, sa vie nocturne, ses jeunes gens remuants, une désinvolture mise en parallèle avec la guerre et le basculement du Monde dans l’horreur, donne une puissance singulière à ce roman flamboyant. Le récit est rendu crédible par le travail de recherche mais également par l’humour et la sensibilité de l’auteur.
Inspiré par les destins de ces deux êtres, l’un légende littéraire et l’autre épouse d’une star hollywoodienne destinée au bannissement pour ses prises de positions politiques, Beigbeder interroge le jeu du désir et de la séduction, développe une certaine réflexion sur le couple, sur son couple, évoque avec tendresse son mariage avec Laura Micheli. Il fait l’éloge, teinté d’une bonne dose d’autodérision, de ces hommes qui ne veulent pas grandir, ces hommes mûrs entourés de jeunes femmes.
Oona et Salinger est un roman d’amour. Beigbeder donne chair à cette idylle platonique inaboutie, corps fantasmé, sur fond d’histoire, avec en parti pris, cette idée de la déception sentimentale comme expérience fondatrice de tout écrivain. L’apparition de seconds rôles prestigieux sont autant de clins d’œil au Panthéon littéraire. J’ai été particulièrement touchée par le portrait de Salinger en vétéran traumatisé, lui qui sera hanté jusqu’à la fin de sa vie par la guerre, un portrait qui renvoie à certaines de ses nouvelles douloureuses et graves. Un livre passionnant qui se dévore avec beaucoup de plaisir.
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