C’est en lisant un article sur le blog de Sonia des Chroniques que j’ai eu envie de me renseigner sur mon propre parfum, ses accords, ses notes si particulières, sa composition mais également son histoire. La fragrance que je porte est un mythe de la haute parfumerie, l’inégalable, l’incomparable Jicky de Guerlain. Après bien des errances olfactives, entre l’opulence de L’Heure Bleue à 15 ans - je m’interroge encore sur la drôle d’idée qui a poussé mes parents à offrir un parfum de femme fatale à la gamine pataude et très immature que j’étais - la fraîcheur de L’eau de Rochas à 18, le grand écart vers 20/25 ans entre Eau Sauvage de Dior - j’aimais déjà l’ambiguïté - et Angel de Thierry Mugler - que curieusement personne ne reconnaissait une fois qu’il avait évolué sur ma peau et que je ne supporte sur personne d’autre, antisociale que je suis - ma rencontre avec Jicky fût un coup de foudre immédiat et une évidence absolue. J’étais sienne, il était mien, ils se marièrent et eurent beaucoup de petits flacons… D’eau de parfum pour les plus pointilleux d’entre vous. Les informations glanées ici et là, entre univers enchanteur d’un certain art de vivre et franche rigolade quant aux réactions qu’il provoque m’ont interpellé et convaincu de rédiger un billet sur le sujet.
Aimé Guerlain crée Jicky en 1889, en souvenir d’une jeune femme rencontrée lors de ses études en Angleterre. Follement épris, il demande sa main mais se voit opposer un refus catégorique. Jicky c’est l’histoire d’un cœur brisé mais également le premier parfum abstrait, cherchant à susciter une émotion, à évoquer des sentiments plutôt qu’à reproduire des senteurs naturelles comme c’était le cas à l’époque. Selon la légende, Aimé ne s’est jamais marié restant fidèle jusqu’à la fin à ce premier amour. Paradoxalement, Jicky est également le surnom de Jacques, neveu et assistant du créateur, le père de Shalimar, mais là tout de suite c’est moins romantique, moins vendeur.
Et sinon qu’est-ce que ça sent ? Epineuse question surtout quand on est une béotienne comme moi. Cela fait donc quatre jours que je potasse, me vaporisant régulièrement le poignet pour comparer avec les descriptions des aficionados, recherchant la signification de toutes les expressions qu’emploient les nez, comparant les différentes impressions des blogueurs spécialisés dans ce domaine. Je tiens particulièrement à remercier un blog rédigé par des passionnés dont la grande instigatrice est Jeanne Doré, Au Parfum, une mine d’informations précieuses qui a éclairé nombre de mes interrogations d’autant plus nombreuses que Jicky est un parfum complexe paradoxal, à la fois moderne et classique, net et sale, propret et délicieusement décadent. Sa structure audacieuse fait preuve d’une certaine espièglerie, élégance désinvolte, sophistication légère. Il présente de multiples facettes, fraîches, fleuries, épicées, orientales. Voici ce que j’ai à peu près compris, je n’ai en aucun cas la prétention de tout saisir mais j’ai essayé de traduire ce que j’avais retenu. Si un expert venait à passer par là et y trouvait non-sens et autres boulettes, je serais ravie qu’il me fasse part de ses corrections.
Les fragrances sont classées par famille olfactives mais Jicky est parent de trois d’entre d’elles, insaisissable, inclassable. Il appartient aux orientaux désignant les parfums aux notes de fond douces et chaudes, comme la vanille, les bois, les notes balsamiques, ambrées, poudrées ou animales. Il fait également parti des chypres. Le nom provient du parfum crée par Coty en 1917 dont le succès à ouvert la voie à une nouvelle famille basée sur le schéma suivant : bergamote en tête, mousse de chêne et patchouli en fond, et un coeur floral en général peu présent, souvent rose ou jasmin. Le fond comporte aussi souvent des notes boisées (vétiver) ou balsamiques (ciste-labdanum). Et Jicky est aussi assimilé à la famille des fougères dont le nom provient de Fougère Royale d’Houbigant 1882, et qui désigne les parfums construits autour d’une association de lavande, géranium et coumarine - composant principal de la fève tonka, graine d’un arbre qui pousse en Amérique du Sud, en particulier au Brésil dont l’odeur douce, poudrée, amandée peut évoquer la paille séchée, le foin ou le tabac blond .
La composition de Jicky joue sur le raffinement des contrastes, des arêtes vives avec un cœur opulent et riche, la fraîcheur médicinale des aromates et des agrumes et la douceur d’une guerlinade boisée.
note de tête : citron, mandarine, bergamote, bois de rose, lavande
note de cœur : iris, jasmin, patchouli, rose, vétiver
note de fond : cuir, ambre, civette, tonka, encens, benjoin
Le départ vif, très vert dans les premiers moments grâce à la bergamote, aux notes aromatiques de lavande et romarin, la rondeur verte et lactée du géranium, une touche iodée d’ambregris qui associée à la coumarine donne des effluves de foins coupés en bord de mer offre un contraste étonnant avec la richesse du somptueux cœur oriental, jasmin et rose, auquel se mêle la gourmandise de la vanille, la senteur chaude, fruitée, boisée, épicée du benjoin aux accents poivrés, au cuir que l’on doit à l’opoponax, un baume réalisé à partir de la résine d’une plante poussant sous les climats chaud comme la Somalie.
Le parfum d’origine comportait des matières animales naturelles comme la civette, l’ambregris et probablement le musc comme fixatif, des odeurs très fauves, limite fécale pour la civette, qui ne seraient pas tolérées par nos nez contemporains. Interdites pour préserver les animaux, ces absolues sont aujourd’hui remplacées par leur forme synthétique. Dans la tradition de la parfumerie classique, il était courant d’introduire des notes sales pour donner plus d’ampleur à la composition. La puanteur distillée en dose infime enrichit d’une suavité trouble les notes florales et aromatiques. Malheureusement, certaines peaux réagissent mal à ces composants même synthétiques et les font ressortir de façon incommodante. Le blog Grain de Musc fait référence à l’une des intervenantes du Forum MakeUpAlley qui évoque très clairement le souci en employant une expression assez tordante. Pour elle, Jicky c’est « comme si un chat avait chié dans une touffe de lavande. » J’en suis restée comme deux ronds de flanc et il m’a fallu plusieurs jours pour réussir à repérer cette note sale qui s’exprime très peu à mon contact mais elle est bien présente. Je commence à mieux comprendre pourquoi son altesse Edgar aime tant poser sa tête au creux de mon cou pile à l’endroit où je me parfume - comportement encore passablement normal pour un fieffé greffier - mais aussi me sniffer les poignets - là on est dans le franchement bizarre.
Pour finir, quelques personnalités à avoir porté Jicky, exercice parfaitement inutile mais que je trouve toujours divertissant : l'impératrice Eugénie épouse de Napoléon III d’après Truman Capote dans Prières exaucées, Jackie Kennedy, Fanny Ardant, Brigitte Bardot et Jane Birkin (je me demande si en fait ce n’était pas Serge qui l'aimait.)
Bref. Mon parfum a plus de 120 ans et pas une ride. Il faudra que je lui demande son secret d'éternelle jeunesse.
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