À la fin des années 1980, Daniel, élève de terminale C - équivalent de la filière S de nos jours - poursuit mollement sa scolarité, sans grande conviction. Avec ses deux amis Justin et Marc, ils forment un trio de garçons sans brio, sans éclat, résultats moyens, et plus qu'empêchés dans leurs amourettes. Virginité inquiète, ils s'interrogent sur le point G durant les heures d'histoire géo. Dans la cour, les clans se forment, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, les matheux geeks, les littéraires à cheveux longs et idées politiques. La routine scolaire est à peine bousculée par la promesse des week-ends, les invitations aux soirées, lieux de tous les rapprochements maladroits, les coups de cœur fugaces.
Daniel avait calqué toute sa personnalité et ses goûts sur ceux de petite amie afin de lui apparaître sous un jour favorable. Mais depuis il se remet mal de sa rupture avec Cathy Mourier qui l'a quitté pour un autre. Il s'estime trop vieux pour circuler à mobylette et compte bien passer son permis. Il dispense des cours de maths pour cinquante francs de l'heure à Béatrice Rigaux, élève de troisième apathique qui n'émet que de vagues "oui, oui..." en réponse aux questions qu'on lui pose. La mère de la jeune fille, affable et bourgeoise, se permet, à l'abri des regards, des débordements inattendus.
Auteur de bande-dessinée, scénariste des deux derniers Astérix, romancier, musicien, Fabrice Caro signe pour cette rentrée littéraire 2025, son septième roman. "Les derniers jours de l'apesanteur" entre chronique adolescente et récit initiatique acide porte un regard empathique les affres d'un âge de bascule, particulièrement ingrat. Avec l'inaltérable tendresse qu'il manifeste pour les losers magnifiques, Fabrice Caro créé une fois de plus un antihéros, personnage un peu lâche, un peu benêt, dont les défauts et le réalisme exacerbent le processus d'identification. Il croque avec lucidité un Daniel empêtré dans les soubresauts d'une psyché en développement, une forme d'inadaptation émouvante.
Nostalgie douce-amère, Fabrice Caro recréé l'atmosphère des années 1980, période en vogue depuis la série "Stranger things", avec un sens du détail authentique. Il ponctue son texte de marqueurs temporels, la bande originale entre Supertramp, Elsa et Sting, le combat de Nelson Mandela, les interventions de Gorbatchev, le film "Le cercle des poètes disparus", les Renault 5, Télé 7 jours.
Dans cette histoire de passage à l'âge adulte, le baccalauréat alors véritable rite de passage, est une étape cruciale. En attendant la majorité, l'échappée belle promise par l'université, il faut répondre aux injonctions parentales. Les tranches de vie s'animent sous la vague d'une galerie de personnages savoureux, loufoques, burlesques, des caractères attachants, aux comportements défiant souvent la logique, la raison.
Des mésaventures minuscules troublent la monotonie des adolescents, les amourettes contrariées, les amis pour la vie, l'envie de liberté, les premières fois. Les tourments intérieurs les poussent à prendre au tragique le moindre incident. Ils inventent, extrapolent, fantasment, dramatisent pour des futilités. Et parfois, décalage, la cruauté de la condition humaine se fait sentir, la disparition d'un camarade fugueur, l'accident de voiture mortel d'un autre.
Mordant, décalé, style fluide, efficace, Fabrice Caro capture avec intelligence la fébrilité adolescente, l'émouvante médiocrité de la condition humaine.
Les Derniers Jours de l'apesanteur - Fabrice Caro - Éditions Gallimard - Collection Sygne
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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